sexisme ordinaire

«Pff, vous les femmes…»

Ce sont des habitudes, des petits riens qui «ne portent pas à conséquence». Et pourtant: le sexisme ordinaire, larvé, est encore trop souvent à la mode. Par méconnaissance ou par paresse, mais aussi parfois par volonté clairement assumée, les petites phrases blessantes ou les regards par en-dessous atteignent leur cible. Pour y faire face, des clefs existent: décortiquez, analysez, éradiquez! Prêt(e)s? Partez!

C’est l’histoire de cette jour­naliste, dont l’employeur met à disposition des voitures de fonction pour une utilisation privée. Seulement voilà, dans les faits, seuls les hommes y ont droit… Et la direction? Quand elle a été interpellée, elle a eu bien du mal à justifier ce choix. Sexisme. Pur et dur.

C’est aussi l’histoire de cette stagiaire avocate que son patron assigne plus souvent qu’à son tour aux dos­siers de divorces. Un domaine du droit qui n’est pas considéré comme le plus prestigieux mais qui est «susceptible d’intéresser da­­­­van­­ta­ge les femmes». Eveline* raconte: «Je n’ai jamais dit que j’avais un intérêt particulier pour ce domaine et pourtant, c’est à moi que l’on pense quand un nouveau dossier entre à l’étude». Sexisme aussi. Mais ordinaire. Celui que les femmes ressentent au travail, à la maison, dans la rue, mais qu’elles ne peuvent pas prouver. Et, que, du coup, elles ne racontent pas.

Le sexisme ordinaire est une «manifestation insidieuse qui peut passer inaperçue dans le quotidien, car il se manifeste par des propos ou des comportements en apparence anodins», explique Sylvie Durrer, cheffe du Bureau de l’égalité vaudois. «Souvent, la personne responsable n’a même pas le sentiment d’avoir été sexiste.»

Souvent, la personne responsable n’a même pas le sentiment d’avoir été sexiste

Le sexisme ordinaire… celui qui se loge dans les détails, dans les habitudes, dans les croyances bien établies. Ce sont des gens qui estiment que la femme qui les ac­­cueille dans un bureau est forcément la secrétaire. C’est cet homme au téléphone qui refuse de parler à une doctorante mais qui «veut bien» parler à son collègue, doctorant comme elle. Ou encore ce collègue qui se moque de vous au volant mais qui n’a pas voulu conduire car «il ne veut pas prendre un risque en conduisant une voiture de la boîte». Autant d’ex­périences vécues.

Il a toutes les qualités: insidieux, multiforme et récurrent…
Le sexisme ordinaire, comme le racisme ordinaire d’ailleurs, est d’autant plus insidieux qu’il est multiforme. Il peut prendre l’aspect de l’absence de prise en considération, de l’exclusion, de l’infantilisation, de la condescendance ou de l’humour (les trop célèbres blagues sur les blondes), comme le montre Brigitte Grésy dans son «Petit traité contre le sexisme ordinaire». Bien sûr, on pourrait argumenter que, puisqu’il est latent, le sexisme ordinaire est moins grave. Et c’est bien connu: «les femmes surinterprètent et surréagissent. Elles feraient mieux de con­cen­trer leurs forces sur les vraies discriminations», entend-on souvent. «L’un n’exclut pas l’autre», réfute Sylvie Durrer, «car ces manifestations ont un effet sur la position des femmes et des hommes dans la société. Cela contribue à reproduire et renforcer les rôles stéréotypés dans notre monde.»

N’empêche, ces attitudes discriminantes sont si récurrentes qu’elles en deviennent banales, note une femme interrogée: «Ce qui est fatigant, c’est d’y être confrontée tous les jours. On n’a pas toujours la force de réagir, alors parfois on laisse couler…»

«Une femme, c’est forcément une bonne cuisinière»
Mais le sexisme n’est de loin pas l’apanage des hommes. Beaucoup de femmes sont impliquées. Comme l’a montré Bourdieu dans sa célèbre « Domination masculine », elles peuvent parfois renforcer des stéréotypes. Un exemple ? Cette scène récemment entendue à la cafétéria: une jeune femme entourée de deux hommes qui s’exclame: «oui, mais moi je suis une fille, il faut être gentil avec moi».

Pierre Bourdieu parle de «servitude com­­plice des dominées». Attention, non pas une servitude qui proviendrait d’une volonté de se soumettre, mais qui est le résultat d’une «intériorisation de l’ordre social». L’ordre patriarcal est si fort qu’il apparaît comme naturel. Et par conséquent, les femmes peuvent parfois participer à leur propre exclusion.

Et pour terminer, un autre exemple vécu. Claire* raconte son expérience du­rant la pendaison de crémaillère qu’elle a organisée avec son compagnon. «Parmi les invités, un homme m’a félicitée trois fois en me disant que j’étais une bonne cuisinière… sans tenir compte du fait que je n’y étais pour rien puisque mon ami avait tout préparé. Mais rien n’y fit, il me remercia encore en partant.»

«Tout le problème», explique Sylvie Durrer, «c’est que souvent les gens n’y pensent pas. Mais le propre de l’humain, c’est de penser, d’être conscient de ses paroles et de ses actes, non?»

La pub, un vecteur ordinaire
«Les hommes au volant, les femmes aux cosmétiques » Stéphanie Pahud, maître-assistante à l’Université de Lausanne, étudie la publicité dans le cadre de son travail de doctorat. Elle remarque que les stéréotypes ont la vie dure même dans un domaine qui se veut créatif.

«Les annonceurs n’ont pas de devoir social, leur seul but est de vendre. Il faut donc être compréhensible pour le plus grand nombre. Et quoi de plus compréhensible que des rôles traditionnels et bien définis?» La femme aux fourneaux, l’homme au boulot.

«La plupart des créatifs ont évi­dem­­ment entendu les discours féministes», précise Stéphanie Pahud. «Le slogan d’une pub Levi’s est révélateur d’une récu­pération commerciale et au se­­cond degré de ces discours: «Le jean lui va si bien. Le prince charmant, elle s’en fout». Mais le visuel reste clairement étudié pour attirer le regard masculin, avec des poses lascives, des tenues sexy.

Même les pubs qui semblent nova­trices véhiculent souvent ces stéréotypes. «Ce n’est pas à la pub de changer, c’est le sens critique du public qui doit être aiguisé», estime Stéphanie Pahud.

*Tous les prénoms sont fictifs.

Quelques livres à conseiller:
Petit traité contre le sexisme ordinaire de Brigitte Grésy, Albin Michel, 2009.
La domination masculine de Pierre Bourdieu, édition du Seuil, 1998.
Variations publicitaires sur le genre - Une analyse linguistique des représentations publicitaires du féminin et du masculin de Stéphanie Pahud, Arttesia Editions, 2009.
Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Presses universitaires de Grenoble, 2002.

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