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Carwash deluxe au George V


Sandrine et Fatia ont fait de l’artisanat du lavage de voiture à la main un métier, qu’elles exercent dans un hôtel cinq-étoiles parisien. Rencontre avec deux femmes de choc qui œuvrent à contre-courant.

Comme les plus grands hôtels, le George V est une microsociété ultrahiérarchisée où se côtoient plus de cinquante corps de métiers. Actualité en tête, la tentation d’infiltrer les coulisses du super-palace parisien via ses ouvrières était irrépressible, histoire d’obtenir un point de vue un brin plus corrosif sur la réalité de l’établissement. Mais à la sortie du personnel, les femmes de chambre restent muettes. Elles semblent interloquées ; il y a sans doute prescription, secret professionnel oblige… L’arroseuse officielle de géraniums, petite dame pressée, aurait quant à elle bien eu son mot à dire, mais elle doit filer.
Devant, les voituriers s’affairent. Jeunes mariés, nouveaux riches, princes arabes et anonymes dodelinent, impeccables. Alors que ce va-et-vient régulier et insignifiant de clients costumés rythme les journées du colosse select, un paradoxe des plus étonnants frappe, entre une Mercedes Brabus blanche et une Maserati : allongées par terre, outils en main, deux carwasheuses invraisemblables briquent en jogging-baskets et tee-shirt du dimanche certaines des plus belles voitures du monde.

Loin des bimbos de plastique qui moussent dans les salons tuning, Fatia et Sandrine inventent des subterfuges à coup de pinceaux pour atteindre les zones les plus inaccessibles de la mécanique moderne. Elles s’amusent d’ailleurs de leur image, le tee-shirt moins mouillé qu’il n’est souillé de cambouis en fin de journée, quand il faut aller récupérer leur salaire par l’intermédiaire des voituriers. « On a honte parfois quand même »… Sur la sellette en permanence dans un milieu qui gomme toutes les imperfections, les deux partenaires opèrent étrangement à contre-courant, sans l’apparat policé des palaces, bien souvent à la vue du tout-venant.

Ces deux mondes diamétralement opposés se côtoient pourtant autour d’une passion marquée et surtout d’un objectif commun : la perfection. Honorées du plaisir de pouvoir approcher l’intimité de ces véhicules d’exception qui, le temps d’un nettoyage, leur appartiennent un peu, elles lancent le sourire aux lèvres : « Tu sais, on a nettoyé des modèles uniques ! ».

Respectivement comptable et conductrice de bus à l’origine, elles sont les deux seules artisanes du lavage de voiture à la main dans un Paris – il faut le savoir – en mal de lavomatics. Une aubaine pour ces deux self-made-women indépendantes et mordues d’automobile qui ont lancé leur entreprise il y a deux ans. Un créneau dans l’air du temps : se déplacer à toute heure pour garantir un lavage bio, sans eau, le fignolage comme maître mot.

Elles ont tout appris sur le tas, s’entraînant sur la voiture de Sandrine, chronomètre en main, développant rigueur et efficacité. Après s’être fait les dents sur les parkings de plusieurs établissements, un test au George V finit par payer. Prouvant qu’elles n’étaient « pas des branquignoles », elles gagnent la confiance du personnel et des clients pour devenir bientôt indispensables et œuvrent actuellement en surrégime dans les VIIe et XVIe arrondissements au prix d’une disponibilité constante, de jour comme de nuit, sans horaires fixes, au gré des demandes des clients.

Si « plus rien ne [leur] résiste aujourd’hui », comme elles disent, mettant au défi quiconque voudrait proposer un meilleur service dans ce domaine, elles s’étonnent toujours de cette réussite. Mais là où elles se trouvent, elles ne peuvent avoir confiance qu’en leur duo. Elles ont conquis une crédibilité précieuse qu’elles ne veulent pas prendre le risque de voir basculer en voulant trop s’accroître.

Ceci dit, Sandrine a déjà imaginé s’attaquer aux hélicos, et Fatia, pourquoi pas, à la Suisse. Mais surtout elles tiennent à garder cette indépendance et ce franc-parler. Quelque chose chez elles ouvre par leur simple présence une fenêtre rassurante sur l’envers du décor de cette grande machine. Un peu comme une Thelma et une Louise à la française, les pieds rivés sur terre quand ce n’est pas sur leur scooter utilitaire rose bonbon : « C’est les deux ou rien. Si l’une capote, l’affaire s’effondre ».

Plus loin sur l’avenue un bruit de moteur retentit, et l’oreille de Sandrine ne s’y trompe pas : « Aston Martin 2009 »..

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