mobilités
Elles bougent… oui, mais comment?
Trente-et-un. C’est le nombre de kilomètres qu’une femme parcourt en moyenne chaque jour en Suisse. Treize de moins qu’un homme. En un mois, on mesure une différence de 390 kilomètres entre femmes et hommes, soit au moins cinq fois le tour de la terre en une vie. Une inégalité qui, pour une fois, peut avoir du bon.
Et si les stéréotypes de genre concernaient aussi la mobilité? Il semble que oui, puisque distances, motifs et modes de déplacement sont aussi être une question de sexe. Des études récentes le montrent, exemples à l’appui.
De la mobilité des femmes qui allie tâches multiples et timing parfait, à un modèle qui s’affaiblit
Des différences comportementales apparaissent dès l’âge de 8 ans déjà: les filles font globalement moins de vélo, sont souvent accompagnées par une personne adulte et restent volontiers à la maison, tandis que les garçons, plus autonomes et aventuriers, explorent davantage le monde extérieur.
Plus tard, l’écart se creuse encore, et s’avère particulièrement marqué dans les régions périphériques, parmi les populations étrangères et dans les couples à bas revenu. Les différences hommes-femmes se renforcent en outre significativement lorsque la famille s’agrandit. Les femmes devenues mères composent alors avec les impératifs de la vie familiale et ceux de la vie professionnelle. Leur mobilité se construit à partir de facteurs de nature discriminatoire.
Leur périmètre de vie s’étend le plus souvent à l’échelle d’un quartier, voire d’une ville, et il s’articule autour des tâches domestiques, du ravitaillement du foyer et de l’éducation des enfants. Les études menées montrent que, lorsque les femmes travaillent, elles choisissent également souvent un emploi à proximité de leur domicile.
Le revenu moyen des femmes étant inférieur à celui des hommes, elles n’ont pas accès à toutes les formes de mobilité. Elles sont, selon les statistiques nationales, une sur quatre à ne pas posséder de permis de conduire (contre un homme sur dix!), et une fois et demie plus nombreuses que les hommes à ne pas disposer de véhicule personnel. Les modes de déplacement féminins sont alors davantage tournés vers des modes de transport peu polluants et s’inscrivent dans un cadre local.
On le sait, les mères ont à résoudre des équations d’une extrême complexité en termes de logistique de déplacements. Elles doivent faire preuve de compétences redoutables dans l’agencement spatio-temporel de leur journée: accompagnement des enfants à la crèche, à l’école et à leurs activités de loisirs, travail, courses et allers-retours multiples vers la maison, tout doit trouver place dans une succession et un timing parfaits. Dans ce ballet incessant, l’automobile représente le symbole d’une mobilité illimitée et sans contrainte. Elle exerce sur les femmes une attraction grandissante, d’autant plus qu’elle constitue de plus en plus l’unique possibilité d’accéder à la vie publique.
Pour effacer les inégalités en matière de déplacements, il s’agit d’exploiter les forces de la mobilité au féminin et d’en éliminer les aspects contraignants
En comparaison, les hommes, qu’on aime à dire monotâches, se déplacent avant tout pour des raisons professionnelles, puis pour leurs loisirs. Ils parcourent des distances toujours plus grandes – par des moyens de transports toujours plus rapides – de ville à ville. Dans un élan de conquête continu depuis leur jeune âge, ils mènent leur existence à l’échelle des métropoles.
Les différences de comportement ont cependant globalement tendance à se lisser. Les rôles sociaux évoluent et se diversifient, l’âge moyen de la femme à la naissance du premier enfant recule, les modèles familiaux changent (hommes au foyer, familles monoparentales, homoparentalité…). Par ailleurs, les femmes ont aujourd’hui de plus en plus souvent les moyens d’acquérir une voiture, ce qui leur permet d’élargir leur périmètre de vie, d’avoir une vie sociale plus active et un quotidien moins contraignant. Cette émancipation, qui passe par une simple imitation du modèle masculin en matière de mobilité, renforce cependant les désagréments liés aux transports individuels, déjà très préoccupants aujourd’hui. Un gain pour les femmes malheureusement contraire à l’intérêt général.
La mobilité des femmes, un modèle de déplacement durable
La mobilité au féminin s’avère en effet en parfaite adéquation avec les principes du développement durable. Moins de kilomètres parcourus, c’est en général une qualité de vie meilleure, moins de temps perdu dans les transports et des nuisances environnementales restreintes. D’autant plus si ces déplacements sont effectués au moyen des transports publics, de la marche à pied ou du vélo.
Pour effacer les inégalités en matière de déplacements, il s’agit donc d’exploiter les forces de la mobilité au féminin, et d’en éliminer les aspects contraignants. Encourager un modèle de ville à taille humaine, où toutes les activités trouvent place dans un périmètre restreint avec accès rapide, sûr et confortable. Construire des transports publics tenant mieux compte des besoins des femmes: par exemple, en en facilitant l’accès avec une poussette, en augmentant leur fréquence aux heures de pointe pour que chaque personne y trouve une place assise, en augmentant leur sécurité en fin de soirée. Améliorer la densité et le confort des réseaux piétonniers et cyclables.
Et… s’affranchir d’un modèle construit autour de la bagnole et de la performance pour penser mobilité au féminin. Inégale, oui, mais durable!
Références:
Microrecensement transports 2005 Office fédéral de la statistique, (2007)
Genre et mobilité: quelles différences au sein des couples? Nathalie Carron, (2007)
Gender Gap im Verkehrs- und Mobilitätsbereich VCÖ, (2009)