sexisme ordinaire

Faire rire et laisser sourire

Une femme qui fait rire? Vous n’y pensez pas! Faire rire, c’est «viril», c’est une conquête. Pour tordre le cou à ce cliché qui a la dent dure, voici un historique humoristique – et totalement subjectif – de femmes drôles et sexy.

La faire-valoir
Commençons par le commencement avec la tentatrice rêvée, l’Eve sublimée, celle à laquelle aucun homme ne résista: Marilyn Monroe. Marilyn, c’est un certain idéal féminin: blonde, un brin futile, la bouche constamment entrouverte émettant de petits bruits d’excitation, à l’attitude corporelle évoquant le sexe en permanence… Elle fait parfois rire, mais toujours dans des rôles d’écervelée sympathique, victime des hommes et de leurs outrages, comme dans ce dialogue tiré de Some Like it Hot:

Sugar (Marylin Monroe):

«Tu sais comment sont les hommes: ils nous font toujours craquer! Non si j’avais de la cervelle, je ne jouerais pas dans cet orchestre pourri. Tu vois ce que je veux dire ? Je suis pas très maligne… »

Joséphine (alias Tony Curtis, déguisé en femme):

«La cervelle n’est pas tout…»

Marilyn, enfermée dans un personnage de sotte «bigger than life», tentera maintes fois de changer d’image, posant avec des livres, écrivant des poèmes, se mariant avec l’écrivain Arthur Miller (pas beau mais intello) jusqu’à sa mort mystérieuse dans sa mansion. A force d’être tellement exposée, elle restera toujours dans l’ombre d’elle-même. Séductrice? Certes. Mais dépossédée…

L’homme-femme

Ellen Barkin, autre actrice américaine, n’est pas une icône au même titre que Marilyn: bien que belle, elle est nettement moins célèbre. Dans Switch, elle interprète un homme qui devient une blonde canon. Si le personnage d’Ellen Barkin fait rire, c’est à cause du décalage entre son corps et son attitude. Assise jambes écartées, grossière, arrogante, paternaliste, reluquant les fesses féminines, marchant maladroitement sur des hauts talons, elle est un macho tout ce qu’il y a de plus criant. Du coup, le rire qui surgit avec elle ne lui appartient pas vraiment: elle est un homme enfermé dans un corps de femme qui essaie pathétiquement de tenir le coup, malgré les contraintes qu’il subit en robe courte, hauts talons et cheveux longs.

D’ailleurs, son personnage, pour racheter sa vie antérieure de salopard, doit se faire aimer par une femme, créature bonne et dotée d’amour s’il en est. Dans Switch, les attributs féminins jugés séduisants sont ridiculisés, car portés par un homme. Et c’est bien cette attitude virile dans un corps de femme qui fait rire.

Comme quand elle se décrit pour se faire reconnaître d’un ami qui la côtoyait en tant que Steve:

«Tu peux pas me rater, mec. Je suis blonde, je mesure, genre 1m70, et je suis carénée comme une bagnole de course.»

La femme drôle
Elle n’est pas un personnage construit par le système – patriarcal – hollywoodien, mais une femme bien réelle, à la personnalité tellement forte que même ledit système essaie de l’intégrer. En voici deux exemples: Amy Sedaris et Sarah Silverman.

La ménagère folle
Amy Sedaris, c’est un peu la folie ordinaire. Mignonne, petite, souvent habillée de manière très féminine, ou presque enfantine (elle porte des bustiers, des robes de bal, voire de princesse), Amy Sedaris n’est pas menaçante. Elle ressemble à une femme très comme il faut.

Pourtant, elle fait des grimaces à la chaîne, raconte des blagues de très mauvais goût, vit avec un lapin et un petit ami imaginaire dont elle parle volontiers en interview:

- Amy, qu’est-il arrivé à votre petit ami imaginaire?
- Ricky?
- Oui, qu’est-il donc arrivé à Ricky?
- Il a été assassiné.
Je n’ai pas le droit de parler de l’affaire. Depuis, j’en ai épousé un autre: Glen…

Son jeu favori, c’est de s’adonner à des activités tout ce qu’il y a de conventionnel, puis les détourner et les rendre ultra trash: elle a écrit par exemple un livre de cuisine qui présente des photos douteuses de plats d’une grande laideur, et compile un art du mauvais goût complètement assumé. Elle se définit elle-même comme une «Martha Stewart on crack». Amy Sedaris est l’exact contraire de la réussite WASP(1) de Martha Stewart. Une version qui aurait pété les plombs. Avec elle, il y a littéralement péril en la demeure…

L’outrageante
Avec Sarah Silverman, bienvenue dans l’ère de l’outrage. On quitte définitivement la sphère domestique, la décoration et la cuisine, pour plonger dans le monde du cynisme le plus assumé, du total mauvais goût, de l’assurance souvent imaginée comme «virile». Jolie, Silverman ne cherche pourtant pas à séduire. Ce qu’elle veut, c’est jouer de son arme la plus efficace et la moins traditionnellement féminine: effronterie et humour outrageants.
Des Juifs aux Blacks, des vieux au vagin de Britney Spears, des élections en Floride aux pratiques sexuelles de Matt-Damon-le-gendre-idéal, elle passe au hachoir tout ce qui est politiquement correct:

«Vous pouvez par exemple facilement comparer une femme juive âgée à un jeune type noir. Ils semblent totalement différents, mais sur le papier, ils sont pareils! Prenons les survêt’… ils adorent les survêt’! Tous deux en ont plein de différents!

Quoi d’autre? Le choix de la bagnole, c’est pareil: tous deux adorent les Cadillac! Et puis ils adorent leurs petits enfants, et aussi, ils adorent le fric et les bijoux blingbling. Ils arrêtent pas de dire «yo!» tout le temps, même si les grands-mamans juives le disent dans l’autre sens: «oy!». Quoi d’autre? Euh… tous leurs amis meurent les uns après les autres… »

Sarah Silverman ne joue pas des codes habituels réservés aux filles pour séduire. Sa force, c’est son humour, son cynisme, son côté pince-sans-rire. Elle reste de marbre devant les pires obscénités qu’elle déblatère. Pourtant, elle ne se trouve pas du tout reléguée au rang des indésirables, au contraire, elle mène sa carrière de comédienne avec succès et est très convoitée. Son humour, c’est sa force. Contrairement à Marylin, personne ne rit à ses dépens, et personne n’essaie de la modeler.

Alors?
L’humour n’est définitivement pas une question de sexe, CQFD. Et malgré le fait que les femmes aient longtemps été cantonnées aux rôles de faire-valoir de leurs pairs humoristes mâles, elles conquièrent à leur tour le devant de la scène, à grands coups de gueule et sans que leur sex-appeal n’en pâtisse. Femme qui rit, un pied dans ton lit ? Homme aussi…

(1) WASP: abréviation de White Anglo-Saxon Protestant

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