sexisme ordinaire

Foot corporatif : Les femmes restent sur la touche


Prenez une trentenaire, plutôt sportive, qui découvre que la boîte où elle vient d’être embauchée monte une équipe de football pour participer à un tournoi estampillé «informel». Enthousiaste, la jeune femme fait acte de candidature. «Tu sais jouer au foot?» lui lance le collègue qui officie comme coach. «Pas vraiment», répond-elle candidement. L’entraîneur prend un air dubitatif, avant de céder : «Après tout, avoir des filles, ça nous donne de meilleures chances de décrocher le prix du fair-play!»

Les tournois de football inter-entreprises, solidement ancrés dans la tradition corporative, sont légion. Ces raouts sportifs permettent «de créer des liens entre employés d’une même firme et de se constituer un réseau», explique Albert Zbily, président de la Fédération internationale de football corporatif (FIFCO), basée au Canada. Le choix du ballon rond comme vecteur de socialisation professionnelle tient au fait que c’est la discipline la plus universellement populaire, «la plus rassembleuse», selon le sociologue Christophe Jaccoud, chercheur au Centre international d’études du sport à Neuchâtel. Rassembleuse? En Suisse, alors que les clubs de football féminin connaissent un boom depuis quelques années (voir encadré), rares sont les employées qui chaussent les crampons pour défendre les couleurs de leur entreprise.

«Notre fichier comporte seulement une dizaine de femmes pour deux mille hommes», constate Massimo Gili, président de l’Association genevoise de football corporatif, qui met sur pied des compétitions inter-entreprises dans le canton. À Neuchâtel, vous aurez beau chercher une joueuse au Groupement de football corporatif, vous n’en trouverez aucune. « Nos statuts ne prévoient pas la mixité des équipes », lâche le président René Jeanneret. « Et il n’y a pas assez d’intéressées pour organiser des matches 100% féminins en parallèle à ceux des hommes. » Même son de cloche du côté de l’Association suisse de sport corporatif : les footballeuses se comptent sur les doigts d’une main, déplore le président Max Stettler.

Exutoire à testostérone

Pourquoi si peu de femmes? Certains invoquent la violence du jeu masculin. « C’est souvent l’occasion de faire sortir la testostérone en lançant des ‘pétards’», relève Pierre Saillen, professeur d’éducation physique en Valais. Un style de jeu qui «intimide les femmes», estime Albert Zbily.

Mais c’est avant tout le manque d’expérience footballistique qui tient les employées à distance des pelouses. En Suisse, bon nombre de femmes adultes n’ont jamais tapé dans le ballon, même à l’école obligatoire. Les rares qui s’inscrivent tout de même à des tournois informels sont «assez maladroites», concède Corinne Bugnon, professeure de sport dans le canton de Fribourg et ex-footballeuse juniore. Selon cette dernière, l’organisation de compétitions inter-entreprises centrées sur des activités que les femmes ont davantage eu l’occasion de pratiquer – telles que le volley-ball ou le basketball – entraînerait probablement une mixité accrue. A condition, bien sûr, que le mélange des genres soit souhaité. « à la base, le foot corporatif a peut-être été créé par des hommes qui voulaient avoir une activité ‘entre eux’ en-dehors du boulot », admet Massimo Gili, qui s’empresse d’ajouter qu’actuellement, son organisation serait « heureuse d’accueillir plus de femmes ».

Une équipe formidable
«Vivement une majorité de filles en short, mi-bas et crampons lors de ces compétitions de réseautage» s’exclame Pauline Seiterle. L’employée de BNJ FM (radio locale de l’Arc jurassien) a parti­cipé à deux reprises au tournoi de football entre journalistes organisé chaque année près de Fribourg. Maladroite au début, la jeune femme a tellement «adoré jouer» avec ses collègues qu’elle a fini par intégrer un club de football féminin à Vicques.

Tout aussi motivée, Muriel Haunreiter, ex-employée de l’Office fédéral des migrations (ODM), s’est inscrite au tournoi annuel des ministères européens de la migration. «Plusieurs autres femmes de l’ODM étaient tentées, mais trouvaient qu’il était trop brutal de jouer contre des hommes», se souvient la jeune femme. Une équipe 100% féminine a donc été mise sur pied. L’aventure s’est avérée très intéressante au niveau des relations professionnelles, indique Jarmila Mazel, une coéquipière.

«C’est vraiment dommage que la majorité des femmes reste exclue de cet excellent moyen de réseautage que sont les tournois corporatifs», regrette Albert Zbily. Un état de fait qui n’est, heureusement, pas coulé dans le bronze. Les programmes d’éducation physique contemporains faisant généralement la part belle au football – y compris pour les écolières – on peut nourrir l’espoir que la prochaine génération d’employées sera suffisamment familiarisée avec cette discipline pour prendre d’assaut les pelouses corporatives. Et qu’elle y généralisera ce qui fait, selon l’entraîneur du FC Prilly Emmanuel Diserens, l’une des spécificités du ballon rond féminin : le fair-play.

D’ici là, celles qui décident de chausser les crampons pour le compte de leur société continueront à s’exposer aux remarques «bienveillantes». «Lors de mon premier tournoi, un des arbitres m’a conseillé de ne pas hésiter à faire des fautes contre les joueurs adverses», raconte Pauline Seiterle. Le prix à payer pour intégrer cette «fabrique de masculinité par excellence» qu’est, selon Christophe Jaccoud, le football ?

Mesures de soutien de l’ASF en faveur du football féminin depuis 2000:
http://www.football.ch/sfv/cm/Unterstützungsmassnahmen%20FF_f.pdf

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