sur le vif
Hommage à Anne-Lise Grobéty
Anne-Lise, je me souviens des framboises que nous chapardions dans le jardin de notre grand-mère, au risque de nos oreilles, mais pour le plaisir de nos papilles, ce jardin que tu évoques dans Zéro positif. Je me souviens des parties de cache-cache avec nos cousins, autour du rucher du grand-père (mais déjà tous deux nous aimions nous plonger dans les livres, tandis que les autres jouaient au foot). Je me souviens de nos pseudo-improvisations théâtrales, à Beau-Site, où nous disposions d’une vraie scène, dans cette grande maison des Unions Chrétiennes de Jeunes Gens, dont tes parents étaient concierges (devenue depuis le siège du Théâtre Populaire Romand, ce sont de vrais comédiens et comédiennes qui aujourd’hui y jouent). Je me souviens que nous nous croisions à la Bibliothèque des Jeunes, où tu «cinglais vers les rayons romans», tandis que je lisais Tintin, assis à une de ces «petites tables à huit côtés (…) oubliant d’enlever [mon] bonnet», comme tu le décris dans Compostblues*. Je me souviens que nous écoutions religieusement Barbara, dont j’avais enregistré un récital diffusé par Radio Lausanne, sur mon magnétophone à bandes en collant le micro contre le poste, à des années-lumière du podcast. Je me souviens de tes premiers écrits dans les Herbes folles, la revue du Gymnase de la Tchaux. Je me souviens de la sortie de ton premier livre, Pour mourir en février, assorti du Prix Georges-Nicole, et de la fierté de toute la famille, éblouie par l’honneur qui t’était fait, toi fille d’ouvrier. Je me souviens, plus tard, de nos trop brèves rencontres au Salon du livre, où nous échangions quelques mots sur l’écriture et nous donnions des nouvelles de nos enfants. Je me souviens de cette belle soirée, dans la petite bibliothèque d’Allonzier-la-Caille, où tu étais venue rencontrer tes lecteurs, dans le cadre de Lettres frontières, après la sortie de La Corde de mi. Je me souviens la dernière fois que nous nous sommes vus, avec Alain ton compagnon, et juste quelques autres personnes, pour un repas chaleureux, que nous avions concocté, Brigitte et moi, dans notre maison, au flanc du Salève; c’était l’an dernier, pour mes 60 ans, beau cadeau que ma femme m’avait fait de t’inviter, qui prend aujourd’hui une saveur particulière, mélange de larmes et de reconnaissance.
Je me souviens de la lumière, au sortir du temple où l’on te rendait hommage l’autre jour, cette lumière d’automne dont le Jura a le secret, avant la longue plongée dans l’hiver… L’hiver, la saison qui t’a vu naître,
il y a moins de 61 ans.
Repose en paix, belle Fiancée d’hiver !
Eric Monnier
Fiancée d’hiver, je suis née. Fiancée d’hiver, je persiste et finirai.
Mais je n’aurai pas peur quand la secousse m’arrachera à ma terre. Car de vous avoir aimé, j’ai appris que mes limites étaient bien au-delà des contours de mon corps ; c’est comme si je m’allongeais et m’étirais déjà loin au-delà de moi-même, vers ces territoires d’inconcevables infinis…
Anne-Lise Grobéty, extrait de La Fiancée d’hiver
In: Défense d’entrer et autres nouvelles. – Carouge: Zoé, 1984 (Coll. MiniZoé)
*Association suisse des libraires de langue française, 2000
Pour en savoir plus, consultez le site de l’éditeur principal d’Anne-Lise Grobéty, Bernard Campiche, soit:
http://www.campiche.ch/pages/auteurs/Grobety.html