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La reine endormie


Défilé de suffragettes dans les rues de Georgetown, 1892


Georgetown, au Colorado, est une petite ville de mille âmes qui s’étire tranquillement dans une vallée encaissée des Montagnes Rocheuses, à quelque 70 kilomètres de Denver. Une bourgade paisible dont l’histoire se confond avec celle des pionniers de l’Ouest américain, mais aussi des pionnières du vote féminin, conquis ici… à la force des mollets.

Le Visitor Center, à l’entrée de la ville, est surtout un gift shop où l’on trouve pêle-mêle tasses imprimées, cartes postales et véritables pépites d’or. Contrepoints à cet incontournable attirail commercial, quelques photos d’archives agrandies révèlent une ville typique de l’Ouest américain, avec ses mines et ses immeubles bas qui se toisent de chaque côté de la rue.

Parmi ces images attendues, une photo détonne : des suffragettes à bicyclette, sous l’œil curieux des habitants. Nous sommes en 1892 et ces femmes investissent physiquement et symboliquement l’espace public avec leur vélo, signe de leur indépendance. Elles seront parmi les toutes premières femmes de l’Union et du monde à pouvoir voter, dès 1893.
à quelques rues du Visitor Center, le cœur de la ville ressemble à s’y méprendre aux photos d’archives, si on fait abstraction des 4 x 4, des boîtiers d’air conditionné sertis dans les façades et des vêtements techniques des amateurs de sports de montagne. Comme si Georgetown avait été oubliée au bord d’une route, depuis plusieurs décennies.

Pourtant, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, elle était l’un des centres importants du pays, connue sous le nom de Silver Queen of the Rockies. Sa naissance est digne des plus belles épopées de l’Ouest. En 1859, George Griffith quitte le Kentucky pour l’Ouest, partageant avec des milliers de pionniers l’espoir d’y trouver de l’or. Après avoir sillonné les alentours de Denver, il explore les montagnes. Il s’arrête pour se reposer dans une vallée et découvre, selon la légende, le métal précieux sous une pierre à ses pieds… Georgetown était née. L’or fut assez vite épuisé, mais de vastes gisements d’argent furent découverts.

Plantée au milieu de nulle part, Georgetown laisse entrevoir ce que la conquête de l’Ouest impliquait. Et combien le terme de pionnier était approprié pour désigner ces individus qui quittaient tout pour s’enfoncer avec des moyens de locomotion rudimentaires dans des territoires difficiles, voire franchement hostiles. Leur vie, perçue comme âpre et virile, fait aujourd’hui partie de notre imaginaire collectif. Des westerns à Marlboro en passant par Lucky Luke, l’Ouest est célébré comme le lieu originel du mâle américain.

Mais des pionnières qui ont bravé les mêmes conditions, on ne sait pas grand-chose, si on excepte les représentations fantasmées de « la madone des prairies » ou de « Calamity Jane ». Pourtant, plusieurs de ces femmes invisibles ont laissé des témoignages par le biais de journaux intimes ou d’articles, qui révèlent leur ténacité et leur tempérament. Beaucoup d’entre elles ont volontairement quitté leur ancien mode de vie, parce qu’elles cherchaient à s’affranchir et à se réinventer. Apprenant à fonctionner comme le faisaient les hommes, elles ont construit leur rôle et lutté pour leurs droits.

Devenue ville - musée, Georgetown semble aujourd’hui condamnée à rejouer sans fin Il était une fois dans l’Ouest . Espérons que derrière ses façades, les femmes entretiennent leur bicyclette et se préparent à explorer d’autres grands espaces.

www.georgetowncolorado.com
www.historicgeorgetown.org
Women of the West, Dorothy Gray, Bison Books Edition, 1998 (1e édition 1976).

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