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LES FILLES DU CALVAIRE
L’une se maquille, l’autre est au vin blanc. Elles confessent un péché mignon: Donna Summer. Installées à une table de L’Interlope, leur restaurant neuchâtelois, les patronnes en baskets attendent avec circonspection l’exercice de l’interview et de la photo. Pseudo d’artiste: Les filles du calvaire, du nom de l’association qu’elles ont créée pour chapeauter leurs multiples activités. Car Marie Walder, 32 ans, et Xavière Sennac, 35 ans, sont également les capitaines du Queen Kong Club (QKC pour les intimes), scène alternative et courue de la Case à Chocs. Tout cela en plus d’être jeune maman et de cumuler les petits jobs pour la première, ou de travailler dans la programmation musicale du QKC, pour la seconde. «Une vie un peu trash», conviennent-elles. Mais elles adorent.
Reprendre un bistrot abandonné: quelle mouche vous a donc piquées?
Xavière Sennac: Depuis la création des Filles du calvaire, en 2003, on gravitait autour de la Case à Chocs en organisant des concerts. Et puis un jour, on a eu envie d’avoir un lieu à nous. Recevoir des gens, c’est ce qu’on aime, Marie et moi. Le restaurant était vide depuis un an : on a décidé de tenter le coup! Aujourd’hui encore, notre cuisinier se moque de nous en nous imitant: ‘ Et si on montait un resto ? ’ On avait seulement l’expérience des bars, rien de plus.
Marie Walder: Personnellement, je n’avais même jamais été serveuse.
Un pari plutôt couillu…
X. S.: Inconscient en tout cas ! Mais j’ai pris des cours de cafetier pour décrocher la patente. On a acheté le pas-de-porte en 2008, et les trois premiers mois, on ne faisait pas les malignes. Une copine est venue nous former pendant quinze jours à la dure: comment aborder les clients, donner la carte, gérer les bons de commande…
M. W.: Comme le lieu était fermé depuis longtemps, on pensait galérer au début. Mais dès le premier week-end, la salle était pleine (ndlr : 44 couverts). C’est là que notre lave-vaisselle nous a lâchées. On a passé le jour de l’inauguration à laver les verres. Plus tard, il a pris feu. Il a fallu utiliser l’extincteur, on ne savait pas le manier. On a donc aspergé toute la salle. Ce lave-vaisselle nous en a fait voir de toutes les couleurs… Nous avons tout appris sur le tas.
Vous gérez aussi le Queen Kong Club. Vous avez éliminé le mot «King» pour être reines?
X. S.: Le nom est né d’une soirée un peu trop arrosée, il ne faut pas y voir un geste féministe. Quant à l’acronyme «QKC», qui a beaucoup fait rire, on n’y avait même pas pensé.
M. W.: Encore une sacrée aventure, cinq mois avant de reprendre l’Interlope….
X. S.: La Case à chocs s’essoufflait. On a repris sa petite salle intimiste, et on lui a redonné de la vitalité. On est des têtes brûlées, c’est vrai.
Mais pas des féministes?
X. S.: Non, peut-être parce que nous avons été élevées par des femmes de la génération 68.
M. W.: Pour ma part, j’ai une sensibilité féministe qui m’a été inculquée par mon père. J’ai franchi le pas du mariage, mais je ne comprends pas pourquoi ma fille ne porte pas mon nom.
X. S.: Plutôt que féministes, je dirais qu’on a des côtés masculins qui s’expriment au travail. Nous gérons un établissement de nuit, il faut savoir être ferme, c’est un métier de mec. D’ailleurs, on a eu droit à toutes sortes de rumeurs: avant que nos noms ne soient connus, on a d’abord cru que nous étions deux frères, puis on nous a étiquetées lesbiennes.
M. W.: On fait un travail très physique: on a tout retapé, repeint pendant des heures, poncé, soulevé des fûts de bière sans relâche.
Le cliché veut que les filles se crêpent le chignon. Vous aussi?
X. S.: Non, parce que nous sommes très directes: quand on a quelque chose à se reprocher, on se le dit tout de suite. Loyales, cash et solidaires, c’est tout nous.
M. W.: On a de forts caractères, mais très complémentaires : Xavière s’enflamme, moi j’ai les pieds sur terre.
X. S.: Marie est plus sociable, elle aime sortir, les rencontres, les relations publiques. Alors que je deviens vite sociopathe.
Financièrement et socialement, comment vous en sortez-vous?
M. W.: Je me démène au travail, et suis par ailleurs maman d’une petite Louise de cinq mois. Souvent, je sors tard le soir et mon mari s’occupe des biberons le matin…
X. S.: à Toulouse, d’où je suis originaire, j’organisais déjà des concerts à côté de mon travail d’infirmière en psychiatrie. Je me suis retrouvée à Neuchâtel par hasard, et j’ai eu envie de vivre de ma passion. Ce n’est pas facile, nous sommes confrontées à la réalité du système économique. Le plus dur à gérer, c’est la fatigue et le fait de vivre décalées. Mais ça nous plaît vraiment.