chronique littéraire
Libérée du «Je» par l’autofiction
Dans son essai «La règle du Je», Chloé Delaume explique sa façon de pratiquer l’autofiction. Ni nombriliste, ni en manque d’imagination, l’écrivaine française expérimente la vie par l’écriture et vice-versa. «Je ne fais confiance qu’à la viande», disait-elle déjà en 2008 dans une intervention sur l’autofiction dont cet essai constitue le prolongement.
«Fiction d’événements et de faits strictement réels». Chloé Delaume se réclame de cette définition de l’autofiction revendiquée en 1977 par Serge Doubrovsky. Fille spirituelle de Boris Vian (elle porte le prénom de l’héroïne de L’écume des jours ) et d’Antonin Artaud (elle tire son patronyme de l’Arve et l’Aume ), elle se refuse aux « fables qui saturent le réel » et vomit le livre «à bonne petite idée». Si elle se sert du vécu comme matériau, c’est qu’elle préfère se fier au verbe plutôt qu’à la mémoire, forcément reconstruite, «pour que la langue soit celle des vrais battements de cœur ». Promesse, non pas d’exactitude de l’histoire, mais de sincérité du verbe. Pour cela, tous les moyens sont bons. S’écrire à vif pour provoquer un usage organique des mots, «une encre d’ecchymoses», une «syntaxe meurtrie». Vivre une situation insolite: un corps assiégé (La Vanité des Somnambules , 2003), un dédoublement (La dernière fille avant la guerre , 2007), une virtualisation par avatar interposé (Corpus Simsi , 2003), une immersion dans un milieu ( J’habite dans la télévision , 2006), un internement psychiatrique (Certainement pas, 2004)… À chaque fois, injecter de la fiction dans le cours de la vie , quitte à se mettre en danger. Pour produire de l’autofiction, elle n’hésite pas à recourir, en marge de l’écriture, à des outils technologiques. Ainsi, les chapitres de Dans ma maison sous terre (2009) renvoient à des compositions sonores. Mais pourquoi Chloé Delaume dépasse-t-elle si souvent les bornes? Parce qu’elle veut rester «maître de son destin», «ne jamais filer doux», «dire non, rester debout».
Et quel but poursuit-elle avec l’auto-fiction? N’allez surtout pas confondre sa démarche littéraire avec une quelconque forme de résilience (voir son drame familial dans l’encadré), vous l’insulteriez. Ce qu’elle désire, c’est inviter la lectrice ou le lecteur à suivre son exemple: ne pas se détourner des préoccupations humaines fondamentales et «défendre l’intégrité de son individualité dans une société qui sait en aplanir toutes les aspérités pour mieux la contrôler».
La règle du Je
de Chloé Delaume
PUF, collection Travaux pratiques, 93 p., mars 2010.
www.chloedelaume.net
S’écrire mode d’emploi
colloque de Cerisy 25 juillet 2008.
http://chloedelaume.net/ressources/divers/standalone_id1/cersiy.pdf