sur le vif
Love is my home
Au Grütli à Genève, c’est une salle comble et totalement conquise à sa cause qui accueillait jeudi 10 mars l’écrivaine bangladaise Taslima Nasreen pour une conférence sur les fondamentalismes contre les droits humains. Taslima Nasreen est l’auteure d’une trentaine de livres portant principalement sur l’oppression au nom de la religion quelle qu’elle soit et, plus particulièrement, sur la situation des femmes de son pays, traitées plus ou moins comme des «esclaves» sur le fondement de l’islam. Présentée par Anne-Frédérique Widmann, cheffe de la rubrique «Enquêtes» de la RTS, Taslima, qui s’exprimait en anglais, a réaffirmé fermement son engagement: le refus de tout compromis sur la liberté d’expression, se révélant du coup, et paradoxalement, peu encline à la discussion.
Taslima Nasreen, traits figés, visiblement lasse d’un exil enduré depuis 17 ans, tailleur pantalon sobre agrémenté d’une écharpe de soie rappelant le sari, s’adressait jeudi soir au public dans le cadre du Festival du film et forum international sur les droits humains. Bannie du Bengladesh en 1994 au prétexte qu’elle a «heurté» les sentiments religieux de la population par ses écrits, tolérée depuis peu en Inde mais vivant dans la perpétuelle angoisse du non-renouvellement de son visa annuel, catalyseur d’une haine (elle est frappée de plusieurs fatwas la condamnant à mort) visant, au-delà de sa personne, tous les ennemis du Coran, Taslima accuse le coup. «On ne me permet pas de vivre», «je suis apatride», «partout je suis une étrangère», ces phrases reviennent en boucle dans son discours. Et ce dont elle souffre le plus, c’est du silence qui lui donne un sentiment d’impuissance. «Un écrivain peut vivre partout. Encore faut-il que ses livres soient publiés».
Or les siens, tous écrits en bengali, sont totalement interdits de publication au Bangladesh, partiellement en Inde. «Je ne peux pas atteindre mes lecteurs»,
déplore-t-elle. Seul moyen à sa disposition: les réseaux sociaux. C’est pourquoi elle a décidé de mettre certains de ses livres en ligne sur son site (http://taslimanasrin.com), tel Amar Meyebela, l’autobiographie de son enfance (en bengali). Paie-t-elle cher, par cette solitude imposée loin de son pays, sa revendication à un droit absolu d’expression? «Si c’était à refaire, je le referais» dit-elle en relevant fièrement la tête. Car, nul doute, elle est habitée par l’orgueil, on le sait, on le sent. C’est lui qui la pousse à interrompre Anne-Frédérique Widmann au beau milieu d’une question pour asséner: «Personne ne peut me récupérer ni m’utiliser contre mon gré», ou qui lui fait dire: «Honte à nous qui ne nous battons pas, qui ne protestons pas!». Elle force le respect. Quand on pense que cette femme a été élevée dans la peur, qu’on lui a interdit les sorties en lui inculquant la crainte du monde extérieur qui n’offrait que des menaces pour les femmes, on ne peut éprouver qu’une immense estime pour son courage à braver les interdits. «L’islam, une religion de paix? Depuis mon enfance, j’ai fait l’expérience du contraire!». On la comprend. Elle ne peut pas se dédire (pas question pour elle d’envisager une interprétation d’un Coran qui traite si mal les femmes), et elle est acculée à aller de l’avant afin de donner aux femmes de son pays le courage de la suivre. Pour elle, l’humanité doit plus que jamais faire face à un avenir incertain. «Il n’y a pas de conflit de religion entre l’est et l’ouest. C’est juste un problème de raisonnement où la logique se heurte à la tradition», la tradition étant imposée par la religion. C’est pourquoi l’amélioration des droits humains passe par la laïcisation des Etats. Bouleversé, on entend encore une fois cette solitaire Antigone répéter qu’elle ne se sent nulle part chez elle puis proclamer, sous les applaudissements qui crépitent, «love is my home»