sexisme ordinaire

Quand la bûcheronne n’est pas la femme du bûcheron


Aujourd’hui encore, rares sont celles qui décident d’investir les fiefs «masculins» pour se former. Et quand elles s’y frottent, parfois elles s’y piquent. Aurore Guignard, apprentie forestière-bûcheronne, le sait bien. Elle ne craint pourtant pas les dentsacérées de sa tronçonneuse, ni les remarques sexistes de ses collègues.

Aurore Guignard rêvait depuis longtemps d’être menuisière-ébéniste. Une quinzaine de stages plus tard et toujours aucun engagement à l’horizon, elle a tenté sa chance comme forestière-bûcheronne. C’est dans cette profession qu’elle a trouvé un premier poste, dans des conditions pas toujours faciles. Aurore Guignard explique ainsi ses difficultés à trouver une place d’apprentissage : «S’ils n’ont pas voulu m’engager, c’est parce que je suis une fille.» En effet, à chaque stage, l’employeur a préféré un garçon, « malgré ma motivation et mes capacités », raconte la jeune femme. Jean-Marie Hirt, de l’Unité Transition au travail (UTT), confirme : «Les clichés existent et persistent. Nous rencontrons de nombreuses résistances à l’entrée des jeunes femmes dans les métiers «masculins», que ce soit au niveau de la famille, des entreprises ou des jeunes filles elles-mêmes.»

« Quand on est une femme dans un métier d’homme, il faut faire sa place et prouver qu’on la mérite: il faut bosser, beaucoup bosser, faire mieux que les mecs.»

Au centre de formation comme sur sa place de travail, Aurore Guignard trouve que les garçons sont beaucoup plus soutenus et encouragés qu’elle. Mais avant tout, elle est confrontée au sexisme de ses collègues : « Tous les jours, je me faisais rabaisser. Je ne raconte pas tous les vilains mots et ce qui va avec. « Aurore ta gueule ! T’es qu’une bonne à rien ! Va te faire foutre ! »… J’ai vraiment vécu deux ans et demi de galère. C’était un combat de rester, pour ne pas laisser tomber. » Ceci d’autant plus qu’elle est la seule femme de son équipe et des 124 jeunes du centre de formation forestière.

Le ménage quand même…
Après deux ans et demi passés chez un premier employeur, dont une année redoublée par manque de pratique et de soutien, Aurore a effectué un stage dans une entreprise qui l’a engagée et où elle termine actuellement son apprentissage. « Quand j’étais en première année, je n’abattais jamais d’arbres, parfois des arbustes. Pourtant, c’est plus dangereux. Et quand on faisait de la sylviculture, ils faisaient tout et moi, je plantais les piquets. Dans ma seconde place, c’est différent. Je fais vraiment le métier que j’imaginais. J’apprends, je fais de tout, je suis respectée. Enfin, je peux rigoler. Même si ce n’est pas toujours tout rose. » Le contact avec ses collègues actuels est peut-être plus agréable, mais c’est tout de même Aurore qui doit effectuer les tâches ménagères : « C’est toujours mes collègues qui foutent le bordel et c’est toujours moi qui range tout. Même l’autre apprenti ne fait rien. Ils se disent : « Super ! C’est une fille, elle doit aimer nettoyer ! ».

Alors qu’en 2009 dans le canton de Vaud, les jeunes femmes ont signé 40% des contrats d’apprentissage, les clivages entre les sexes sont encore très marqués selon les domaines de formation. Les jeunes femmes représentent 2% des contrats dans les domaines de l’électricité et de l’énergie et 72% des contrats dans les domaines du travail social. « On peut expliquer ce clivage par le fait que les jeunes femmes sont conscientes des obstacles auxquels elles risquent d’être confrontées en choisissant une profession « masculine ». Notamment en ce qui concerne les possibilités d’aménagement du temps de travail et les risques d’exclusion », explique Magaly Hanselmann, cheffe du bureau de l’égalité entre les hommes et les femmes du canton de Vaud (BEHF).

Mais qu’en est-il de celles qui osent ? De celles qui, comme notre forestière-bûcheronne, dépassent les préjugés ? En 2002 dans le canton de Vaud, elles représentaient 4% des contrats en cours dans les professions comptant moins de 20% de femmes (1). Et comme le montre le témoignage d’Aurore, elles rencontrent encore souvent de nombreuses difficultés d’intégration.

Le goût de la nature et de la transgression
Mais qu’est-ce qui a bien pu pousser Aurore Guignard à continuer malgré tout ? « Je pense que si je tiens le coup, c’est à cause de ma passion pour la forêt. » Depuis toute petite, Aurore aime être dans la nature, l’écouter, sentir son odeur et y construire des cabanes. « Et j’ai toujours su que je ne ferais pas un métier de filles. Je me sens mieux avec les mecs. Quand je suis avec les filles, il y a un côté jalousie, rivalité. Alors que quand je suis avec les copains, ils m’acceptent comme je suis. Je peux être habillée n’importe comment. » « Le choix d’une profession reste toujours sexué en fonction du modèle dominant. Que ce soit en termes de loyauté ou de transgression envers la représentation de ce que doit être un homme ou une femme », note Magaly Hanselmann.

Avec le temps, Aurore s’est forgé une forte personnalité : « Maintenant, on peut me dire n’importe quoi, que je suis nulle, que je suis une « sert-à-rien », que je n’ai pas d’avenir, ça ne me touche plus. » Mais la construction de la confiance en soi a été un long parcours : « Quand la semaine tu travailles avec des gens pas cools, et que le week-end on te dit que t’as rien à faire dans ce métier, tu le prends mal et ça s’accumule. » Tout au long de sa formation, on lui a fait remarquer qu’elle n’avait pas sa place en forêt. Aurore est passée par des moments difficiles qu’elle est finalement parvenue à surmonter. « À présent, je m’en fous. Je me réjouis juste d’avoir ce papier, de le montrer à tout le monde, et de dire : « Hé les cocos ! Ça vous fait plaisir, hein ! Vous l’avez dans la gueule ! ». Juste pour voir la tronche qu’ils vont tirer. »

Mais la vraie raison qui la fait « tenir », c’est qu’elle adore son métier. « Si j’ai des enfants, et qu’ils ou elles veulent faire bûcheron ou bûcheronne, je leur dirai : « Allez-y ! Foncez ! C’est vraiment une chouette expérience. C’est dangereux, physique, on travaille au contact de la nature. C’est le métier idéal. » Mais ce n’est pas pour autant qu’elle a la certitude de trouver un emploi son CFC en poche. Certains patrons auraient des réticences à engager des femmes… Une vieille rengaine qui, pour Aurore, n’est pas un réel problème. Elle reste ouverte à une nouvelle formation de ranger ou de garde-forestière. Ce dont elle est certaine, c’est qu’elle ne postulera pas auprès d’une parfumerie ou d’une boutique de fringues !

(1) 57 professions représentées. Il s’agit d’une statistique croisée (BEHF et SCRIS) qui n’a pas été recalculée depuis 2002.

Sources :
Corinne Dallera et Véronique Ducret, «Femmes en formation dans un métier d’homme. Résultat d’une recherche
de terrain menée dans le canton de Vaud en 2002- 2003», Institut romand de recherche et de formation sur les rapports sociaux de sexe, 2004

www.futurentousgenres.ch
www.egalite.ch
www.orientation.ch

Bureau de l’égalité entre les hommes et les femmes (BEHF) et Service cantonal de recherche et d’information statistiques (SCRIS), «Les chiffres de l’égalité. Vaud 2011», août 2011. Brochure disponible en ligne sur www.vd.ch/egalite

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