sur le vif
Si ce n’est pas maintenant ce sera quand?
L’Italie revendique la dignité de ses femmes
Dimanche 13 février dernier, 230 villes italiennes et 50 villes étrangères ont accueilli des millions de manifestants, femmes et hommes de tous âges et classes sociales qui se sont réunis sous l’étendard des droits et du respect des femmes. Avec le slogan «si ce n’est pas maintenant, ce sera quand?» (se non ora quando) imprimé sur fond rose, les femmes (et avec elles plusieurs hommes) ont décidé de s’insurger contre une mentalité machiste (relayée par des comportements aussi bien masculins que féminins) qui menace sérieusement de remettre en question plusieurs acquis de la condition féminine. La manifestation avait un but premièrement idéaliste, secondairement politique. «Les femmes italiennes demandent plus de liberté de pensée et de parole… elles luttent contre la corruption et exigent un plus grand accès au travail», affirme l’écrivaine Dacia Maraini décrivant les idéaux de l’initiative dont elle est l’une des porte-parole; «dans un des pays les plus développés, dans l’indifférence générale, on assiste à une dévalorisation croissante de la pensée et de la volonté féminine. On nous pousse à retourner à la maison, on nous enlève du travail et du prestige» continue-t-elle. Le manque de représentation féminine dans les institutions et dans les lieux du pouvoir est un des motifs de lutte les plus importants.
Ayant assisté personnellement à la manifestation à Turin, j’ai pu récolter plusieurs témoignages, comme celui de cet homme d’une soixantaine d’années qui justifie sa présence à la manifestation à côté de son épouse: «J’en ai marre d’avoir honte à chaque fois que je franchis les frontières nationales. L’image de la femme italienne qu’on donne à l’extérieur discrédite le pays tout entier. Je suis venu pour montrer à tout le monde qu’il y a des milliers d’Italiens qui ne sont pas d’accord avec le comportement machiste et misogyne diffusé par certains médias et certains hommes au pouvoir. L’Italie est pleine de femmes capables, travailleuses honnêtes, intelligentes, respectables et respectées et d’hommes qui les aident, les soutiennent, les respectent et les admirent au Nord comme au Sud». Au milieu d’un labyrinthe de pelotes de laine colorées, un cortège de 100’000 personnes a défilé au centre-ville de Turin. Officiellement, aucun étendard de parti politique n’était admis (même si de nombreux politiciens, essentiellement de centre gauche, étaient présent surtout à Rome et à Milan).
Il serait faux de nier la présence d’un message politique d’opposition au gouvernement de Silvio Berlusconi dans cette réunion populaire dominicale. Les nombreux scandales sexuels du Président du Conseil italien sont d’ailleurs à l’ordre du jour dans la presse italienne et étrangère. Le 6 avril prochain, le «cavaliere» devra se présenter au tribunal et répondre à l’accusation de rapports sexuels avec des filles mineures et abus de pouvoir en faveur d’une de ses maîtresses.. Les critiques à l’adresse de Berlusconi étaient vives, le mot «démission» a été scandé partout.
«La politique est quelque chose de sérieux, on en a marre d’être représentés par un homme qui adopte comme emblème le bunga-bunga !»
crie un Turinois en faisant référence à la danse orgiastique que Berlusconi aurait l’habitude de pratiquer avec les jeunes filles de son entourage. Mais au-delà du portrait d’un Président peint avec un turban de sultan et entouré d’odalisques (l’hebdomadaire l’Espresso lui a dédié 5 pages), au-delà des comportements privés d’un homme public, le message de la manifestation dépasse le cas du Président des machos.
«À la place de la méritocratie, parmi les jeunes générations, s’enracine de plus en plus une idée du marché des rapports humains: aux garçons, on suggère d’affiner leurs capacités intellectuelles pour pouvoir se vendre dans le marché de la globalisation. Aux filles, on propose de se vendre tout de suite et à un bon prix, parce que si les capacités intellectuelles s’améliorent avec le temps, le corps sexué perd de la valeur avec la maturité» affirme Dacia Maraini.
La cible de l’attaque est surtout l’image de la femme divulguée par les médias, parce qu’elle véhicule un mépris de la femme, de son corps et de ses capacités. La télévision italienne est le théâtre d’un cabaret où de jolies jeunes femmes à moitié nues décorent l’écran. Appréciées exclusivement pour leur apparence physique, souvent humiliées et insultées, ces soubrettes se limitent à se déshabiller et à sourire. Dans le documentaire «Le corps des femmes», de Lorella Zanardo et Mario Malfi Chindemi, créé en 2008, Lorella Zanardo, spécialiste en communication et militante féministe, critique ouvertement les mortifications et les humiliations des femmes et de leurs corps à la télé. Elle rappelle le pouvoir des images et le message qu’elles divulguent à travers la télévision: «les images ne sont pas seulement des images, elles sont de la communication, de la mémoire, du savoir et de l’éducation». Elle affirme que «les icônes de la télévision sont un miroir de comportements d’une société», et ajoute que «les miroirs cachent, plutôt qu’ils ne révèlent». En critiquant les visages et les corps artificiels des femmes du spectacle, elle revendique une authenticité physique et psychique des femmes et dénonce l’image des «belles muettes». En 2008 déjà, les auteurs du documentaire invitaient les femmes italiennes à descendre in piazza «pour protester sur la manière dont elles sont représentées». Cela s’est passé – avec deux ans de retard – le 13 février dernier.
Pour lever un malentendu, dénoncer une société qui se base exclusivement sur les apparences physiques et dénoncer le marchandage du pouvoir de séduction ne signifie pas en revenir à un moralisme qui porte un jugement global sur l’utilisation que les femmes font de leur propre corps (ce qui pourrait être la dérive d’un pays enraciné dans une culture catholique). Le quotidien italien Il Corriere della Sera du 13 février souligne la revendication de la dignité dans cette lutte: « La propriété du corps a été importante dans l’histoire du féminisme depuis les années 70. Mais dans cette histoire, le marché du corps de la femme et la «femme objet» sont vus comme des lésions de l’autonomie. Mais ce n’est pas le moralisme intransigeant qui lutte contre le marché du corps, c’est une revendication de la dignité féminine, qui peut être approuvée ou réfutée: une femme qui veut utiliser son pouvoir de séduction et son corps est bien sûr libre de le faire, même s’il ne faut pas oublier que dans ce type de marché, ce sont les hommes qui dictent les règles du jeu».
Le 14 février, Angela Finocchiaro, actrice engagée et porte-parole du mouvement, écrit dans La Repubblica: «Je suis fâchée, je me répète chaque jour,quel héritage je vais laisser à ma fille… Au moins hier, nous avons eu la preuve qu’il y a beaucoup de gens qui se posent la même question. Avec Berlusconi, la politique italienne a atteint le stade le plus bas de la dégradation, mais le temps est venu pour les femmes de s’engager en politique, qu’elles prennent en main leur destinée et donnent des votes à des gouvernements dans lesquels il y a une vraie délégation féminine qui les représente». A elle de conclure: «d’autres initiatives se préparent, bien sûr, cette mobilisation a commencé par un élan de rage de voir notre dignité ainsi méprisée, mais partout, au travail et en famille, il existe des inégalités qui pénalisent les femmes et auxquelles il faut s’opposer».
Le 13 février, un million de personnes ont dit Basta à cette situation. Avec elles, nous espérons qu’elles continueront à le faire.
•Article de Dacia Maraini
•Sur la représentation féminine dans la politique: l’Italie est au 74ème place dans le 2010Global gender gap report del Word economic forum, un répertoire de la représentation féminine dans des postes de responsabilité (https://members.weforum.org/pdf/gendergap/rankings2010.pdf)
•Source de l’Espresso voir le numéro 4 2011 de l’hebdomadaire italien L’Espresso, consacré au «harem de Berlusconi» en fournissant photos et curriculum vitae de certaines de ses maîtresses.
•Documentaire Le corps des femmes de Lorella Zanardo et Mario Malfi Chindemi: Il corpo delle donne
•Article d’Angela Finocchiaro