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Un monde sans homme: Fiction, vous avez dit science-fiction?

Imaginez… Laissez-vous aller… Tentez d’intégrer ce monde… Oui, oui, vous y arriverez – un petit effort… C’est ça… Continuez à imaginer et, si cela ne marche pas, forcez un peu votre volonté à adhérer à ce brouillard de mots qui se cristallise petit à petit, dans une figure, une image, une représentation… Vous le voyez ? Voyez-vous ce monde où les hommes ont disparu?

Alors dans ce monde, ce n’est pas l’espèce humaine qui a disparu, mais les hommes, les mâles, ces entités biologiques qui, tout au long des millénaires, n’ont eu de cesse de marquer de leur empreinte, parfois écrasante, souvent dévastatrice, ceux avec qui ils entraient en interaction… Bref, vous voyez le topo : le monde que je vous propose d’expérimenter est un monde où les « mecs » ne seraient plus qu’un mauvais souvenir, une période tragique du développement de l’intelligence, une vague réminiscence se perdant dans les limbes d’une histoire révolue…
Vous y êtes ? Sentez-vous les contours d’un tel univers se former, ses rivages se dessiner ? Certes, vous pouvez avoir l’impression d’être en plein rêve, mais en fait vous êtes en train d’investir un type de paysage expérimental qui a depuis toujours été l’œuvre des écrivaines de science-fiction, en particulier dans sa veine appelée « biopunk » – oui, c’est étrange, mais c’est un vocable créé jadis par la testostérone : le son est dur, l’accent turgescent, la finale « hoqueteuse ». Oui, je sais… Vous avez raison : il manque quelque chose. Ce n’est pas parce que je vous invite à vivre dans un monde sans homme que je vous introduis obligatoirement dans un monde de science-fiction : où sont en effet les gadgets, les étoiles oniriques, les objets aux noms inintelligibles qui garnissent habituellement les univers-miroirs de ce type d’œuvres ? J’y arrive ! Laissez-moi le temps de dresser le cadre général, avant d’en venir au cœur intime de mon récit ! Bon, visiblement, je ne vais pas pouvoir développer les tons et les courbes qui, dans mon imaginaire, brossaient ce monde de demain… Il n’y aura pas de suspense, il n’y aura pas de style… Seuls les éléments définitoires resteront : les hommes ont disparu, on évolue dans un monde de science-fiction, le biopunk impose ses lois, les femmes s’entretiennent entre elles – à défaut d’interlocuteurs autres.

Vous voyez le problème ? Allez, faites pas les malignes ! Dites-moi ce qui cloche. OUI : cet univers ne laisse aucune place aux rires des enfants… En effet, si ce monde était possible, cette société devrait s’écrouler, disparaître, s’évanouir et revenir à ce qu’elle semblait être au départ – un rêve. Mais c’est justement là où le bât blesse : nous sommes en science-fiction et qui dit science-fiction, dit « quelque chose de nouveau est advenu », et c’est ce quelque chose qui légitime la cohérence – et, dans notre cas, la pérennité – de l’univers créé : les femmes peuvent se reproduire entre elles… Mais comment ? Il est temps que je cède ma parole à celle de la science… et à la fiction…

Les plus âgées de ce monde doivent sûrement se rappeler que tout est parti d’une fiction ou, plutôt, de ce que l’on pensait être une œuvre de fiction… Elles se rappellent que Pierre De Grandi, professeur de gynécologie de cet ancien hôpital appelé le « CHUV » (acronyme dont la signification s’est perdue depuis), avait osé… Il avait osé écrire – et publier aux éditions Plaisir de Lire – ce roman en l’an de grâce 2011 : Yxsos ou le songe d’Ève. Et tout était là… Tout… Mais les hommes n’ont pas voulu le voir… Pierre De Grandi rappelait pourtant au sein même de son récit – ironie de l’histoire : les gens, les mâles surtout, ont ri de ce qui, plus tard, allait les décimer ! –, que parmi les multiples techniques de fertilisation in vitro, l’injection intra-cytoplasmique d’un spermatozoïde était celle qui était le plus couramment utilisée en médecine de la reproduction. Effectuée sous un microscope à l’aide de divers instruments, cette technique consistait à réaliser la fécondation en injectant un spermatozoïde dans un ovocyte. Mais alors… serait-il possible de féconder un ovocyte en lui injectant non pas un spermatozoïde, mais le noyau d’un ovocyte prélevé chez une autre femme ?

Serait-ce imaginable que les femmes puissent se passer ainsi de spermatozoïdes et engendrer une humanité exclusivement féminine ?

Avec les connaissances dont disposait le professeur à l’époque, la réponse à cette question était pour le moins incertaine. Il écrivait : « Certes, l’injection dans un ovocyte du noyau d’un autre ovocyte était vraisemblablement possible, même si elle posait quelques défis technologiques. Une telle opération aurait apporté les 23 chromosomes nécessaires à déclencher le développement embryonnaire. Qui plus est, ce processus aurait imité celui de la reproduction sexuée en assurant l’apport de gènes garantissant la diversité de l’espèce. Restait cependant à savoir si un tel mode de fécondation aurait enclenché des mécanismes d’empreinte génomique adéquats et s’il aurait pu déclencher la division cellulaire conduisant à la constitution d’un embryon. C’était principalement à ce sujet qu’une fécondation ovo-ovocytaire hétérologue était dite se perdre dans la fiction… En effet, les savants affirmaient que la division cellulaire exigeait la formation du fuseau qui attire dans les cellules filles les chromosomes répliqués de la cellule mère. Or, les éléments indispensables à la constitution et au fonctionnement de ce fuseau, à savoir les centrioles, sont apportés exclusivement par les spermatozoïdes ! Autrement dit, sans spermatozoïdes, pas de centrioles, sans centrioles, pas de division cellulaire, et sans division cellulaire, pas d’embryon. » Ainsi, pensait-on, seule la fiction pouvait transgresser le tabou !

Ils ont eu tellement tort de penser cela… Et aujourd’hui, les hommes n’ont même plus leurs yeux pour pleurer… Ils ont été évincés de la surface de la Terre et ce, par l’entremise de ce qu’ils avaient si longtemps imaginé être leur grande conquête : la science… Vous me comprenez maintenant ? Vous comprenez pourquoi j’insiste tant sur la (science-)fiction ? Car son rôle nous a amenés là, dans ce monde où l’uniformité est devenue commune, dans cette utopie sexuelle… Mais, amer, je me rappelle de ces mots de Thomas More évoquant son utopie : « La république utopienne, je la souhaite, plutôt que je ne l’espère »….

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