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« La tolérance me fait vomir »

Pascal Morier-Genoud, alias Catherine d’Oex, a parfois été défini comme un « travelo social » ou « la madone du latex ». Le comédien-chanteur-formateur est en toute simplicité un être «complet».

Pascal Morier-Genoud et Catherine d’Oex sont les deux faces d’une même page d’histoires. Quand on demande à Pascal de se présenter, il commence par l’essentiel : « Je suis deux en un », « je suis un homme qui dans certaines circonstances se travestit ». C’est que Pascal, 49 ans, se partage avec Catherine, de trois ans sa cadette puisqu’elle est née en 2005, à 40 ans (ce qui lui permet de narguer son aîné avec tendresse). Côté jardin, Pascal a suivi une formation d’employé de commerce, puis d’éducateur spécialisé dans la prévention du VIH/sida. Côté cour, il s’est initié aux techniques du Théâtre de l’Opprimé à Paris. Depuis neuf ans, il a réuni ses rôles et propose en indépendant des cours de communication pour adultes tout en intervenant dans les écoles et dans diverses associations comme Dialogai ou Vogay.
Catherine doit quant à elle sa naissance à la première animation de son alter ego, le baptême du premier partenariat enregistré à Neuchâtel. Pour l’occasion, Pascal a mis en scène l’histoire de sœurs jumelles, Catherine et Françoise D’Oex : si leurs prénoms sont un hommage à Catherine Deneuve et Françoise Dorléac, leur patronyme en est un autre à une part de leur créateur, son lieu d’origine, Château-d’Oex.

« Je suis une femme virile »
Quand on demande à Pascal ce qu’est pour lui Catherine, il répond sans attendre qu’elle « a révélé une part de son féminin », une part qu’il ressent comme « maternelle », « en lien avec l’attachement ». Mais il précise qu’il n’a pas eu besoin d’elle pour se vivre entre les genres, qu’elle lui ouvre seulement d’autres possibles, l’« amplifie » : Pascal est « né mâle », mais s’est rapidement construit avec du féminin et du masculin pour se sentir « complet ». Et Catherine est tout aussi « complète » : « Je suis une femme virile », clame-t-elle dans les mots de sa muse, Deneuve, à qui elle rêverait tant de ressembler (même s’il est aussi flatteur de tenir davantage de l’humoriste Jacqueline Maillan).
Ce que Catherine a de plus que Pascal ? Sa superficialité : « Je vais faire hurler les féministes », glisse avec malice son double mâle. La blondeur et les fards de Catherine, « à la Marylin », ne sont d’ailleurs pas aussi superficiels qu’ils en ont l’air : ils facilitent pour Pascal les échanges dans certains lieux de rencontres sexuelles, comme les clubs ou les saunas. Si elle rassure par ses airs maternels, parce qu’elle est une « maman un peu folle », Catherine déstabilise, force le questionnement et le dévoilement :

« Le travestisme se rapproche du confessionnal. Le fait d’avoir un masque permet aux gens de rentrer en confidence ».

Et confession pour confession, Pascal avoue « trouver formidable de troubler les gens ». Pascal et Catherine se mettent ainsi en scène sur le mode du burlesque, reprennent un répertoire populaire (Barbara, Brel, Piaf, etc), bousculent en chantant les idées toutes faites sur la liberté, la sexualité, la construction de l’individu.

« Il n’y a ni normal ni anormal mais des manières de faire »
Pascal n’hésite pas à « sortir du placard » Catherine pour aider celles et ceux qu’il écoute, rentre et sort du personnage à l’envi. Former n’est pas formater pour celui qui s’est retiré de tous les mandats où on lui imposait de transmettre des normes : il s’est très vite rallié au credo de l’écrivain et metteur en scène Augusto Boal – qui lui a transmis ses connaissances au théâtre de l’Opprimé -, à savoir qu’il n’y a pas de juste ou de faux, ni de normal ou d’anormal, mais « des manières de faire ».

Pascal préfère créer « des espaces d’échange autour de ce que les gens font » et jouer la carte du décalage pour faire passer un message de saine désobéissance : « Ne soyez pas sages, soyez prudents ».

Pas question non plus d’effrayer pour prévenir: la peur n’a aucun effet à long terme. Le moteur de Pascal, c’est la créativité, fille, selon lui, de l’étonnement. Parce que s’étonner, c’est retirer son pouvoir à la banalisation.
Ce que le comédien-chanteur-formateur pense du dogme du « tout fout le camp » ? Après vingt ans passés dans le milieu de la prévention VIH/sida, il l’ignore. Les jeunes sont dans un univers plus rapide, dans le contact, l’immédiat. Ce qui leur manque parfois cruellement ? L’information et la pérennisation. Leur privilège ? Ce que Pascal observe sur la scène LGBTIQ, c’est que les jeunes hommes et les jeunes femmes ne sont plus obligés aujourd’hui de suivre une catégorie imposée en fonction de leur sexe, qu’ils sont devant une plus grande palette de possibilités et qu’ils osent questionner l’hétérosexualité « par défaut ». Au détour de ce constat, il déplore que l’on ne puisse pas parler dans toutes les écoles d’homosexualité sous peine d’être accusé de prosélytisme.

« Je ne suis pas là pour casser de la pierre »
Si Pascal dépasse les bornes ? Il a dépassé celles qu’il s’était imposées par souci des normes sociales. Lorsqu’il a fait son coming in (1) puis son coming out, il s’est dit « en tout cas pas la cage aux folles ». Mais parce qu’il a eu besoin de scène et d’extravagance, il a vite fait fi de ce principe. Il se connaît par ailleurs suffisamment de force et d’énergie pour dépasser « toutes les bornes qu’il sera nécessaire de dépasser pour pouvoir continuer à dire haut et fort des choses sur la religion, sur la prostitution, sur l’avortement ». Et quand on lui objecte que c’est de la folie que de tout bouleverser tout le temps et qu’il pourrait regretter un jour de ne pas « faire carrière », il répond qu’« une carrière c’est casser des cailloux » et qu’il n’est pas là pour casser de la pierre. La seule borne qu’il aimerait ne jamais dépasser, c’est la borne de ses envies.
Aujourd’hui, Pascal est aussi naturellement Catherine qu’il est naturellement Pascal. Et s’ils se racontent chacun dans leur langue, lui au masculin, elle au féminin, ils vivent les mots d’une même humeur : la « liberté » est trop galvaudée pour les tenter, et si la « vulnérabilité » les séduit, la « tolérance » les fait vomir : parce que tolérer c’est juger et non accepter, regarder d’en haut. Or leur place à eux, elle est « à côté », pas en dessus.

(1) Le coming in désigne le processus de révélation à soi-même de son identité alors que le coming out désigne le processus de révélation publique de son identité.

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