100% naturel

«La nature n’identifie pas le genre»


Sylvain et Monique sont mari et femme depuis un an. Sylvain se sent enfin «au naturel». Pour Monique, c’est un cadeau de voir Sylvain «pleinement» heureux. Ils sont tombés amoureux quand elles avaient dix-huit et vingt-cinq ans.

En 26 ans de vie en couple, ils ne se sont éloignés que quelques mois, juste le temps que Monique n’ait plus peur que sa compagne ne devienne un «mec», macho et égoïste, et qu’elle ne se sente plus coupable de ne pas avoir vu arriver «cette idée folle». Sylvain est né Marylène. Il a choisi son nouveau prénom pour son étymologie, parce qu’il aime la forêt et qu’il s’est toujours ressourcé dans la nature : «Dans la nature, j’ai toujours été «neutre» ; la nature n’identifie pas le genre». Il a aussi choisi ce prénom pour son «y», qui se trouvait déjà dans Marylène: quand il était encore femme, il se disait que ce «y», c’était sa part d’homme, le chromosome y. Et preuve que les hasards ont leur histoire, il a découvert après son deuxième baptême que si son frère avait été une fille, ses parents l’auraient appelé «Sylvie».

C’est à la naissance de son petit frère, à trois ans et demi, que Marylène s’est rendu compte qu’elle avait un « problème » : « Il avait un zizi et moi pas. Je n’ai pas eu un sentiment de jalousie, mais d’erreur. Quelqu’un s’était trompé, on avait oublié de me donner un truc.

J’ai compris qu’il y avait des garçons et des filles, et moi je me sentais comme les garçons ».

A cinq ans, pensant qu’elle n’a pas été assez sage, la petite fille se met alors à prier le soir pour « aller bien » : « Le matin, je me réveillais, j’étais toujours une petite fille, et je pleurais, en cachette ». Compréhensifs et aimants, ses parents acceptent qu’elle ne mette pas de jupes et joue les garçons manqués. Marylène se sent bien dans les arbres et dans les jeux de gendarmes et de voleurs. Si elle joue aussi aux barbies, elle n’a pas de poupées. Profondément triste sous une apparence vivante, elle s’accroche à l’idée qu’il se produira un miracle. Mais à la puberté, sa poitrine commence à pousser, et ses premières règles arrivent : « Ça a été une claque ! ». Sa contrariété devient révolte, souvent destructrice : « J’avais des idées morbides. La vie n’avait pas de goût. Je ne comprenais pas ce que j’étais venu faire sur cette terre, pourquoi j’avais cette croix. Je devais me conformer à quelque chose qui ne me correspondait pas. J’avais envie de vivre comme un homme, et pour les autres, je devais être une fille. Je ne voulais pas me suicider pour ne pas faire de peine à mes parents. Mais je ne pouvais pas me projeter dans l’avenir, je me disais qu’à 20 ans, j’allais mourir ».

A 18 ans, Marylène tombe amoureuse de Monique, de sept ans son aînée et maman d’une fille de 3 ans. La jeune femme se dit à ce moment que son malaise, c’était de ne pas s’être avoué qu’elle était lesbienne. Si cette relation lui apporte du bonheur, le sentiment d’être « à côté » ne la quitte pas pour autant. Mais c’est alors difficile pour elle de mettre des mots sur ce qu’elle a au fond d’elle : « Dans ma tête ce n’était pas possible de devenir un homme. J’avais peur de sombrer dans la folie si j’ouvrais cette porte ».
En 2003, le déclic se produit alors que Marylène regarde une émission qui relaie le témoignage d’une femme devenue homme: « Il était en train de raconter l’histoire de ma vie ! ». Cette révélation se produit juste au moment où la fille de Monique quitte le cocon familial, laissant un vide et la place à cette réalisation. En 2004, la situation a raison du couple de Monique et Sylvain, mais pour un temps très court, celui qu’il faut à Sylvain pour être sûr de la voie qu’il va emprunter : « J’étais en état de crise. Je me suis isolé à la montagne avec comme objectif de prendre une décision : soit j’entreprenais des démarches, soit je me suicidais ». Le doute n’aura plus aucune place durant les trois ans et demi de démarches psychologiques, médicales et administratives qui suivent.

Côté vie professionnelle, Sylvain a d’abord voulu être physiothérapeute, mais a échoué à deux reprises : « Mes parents me disaient de devenir infirmière. Mais je ne pouvais pas. Physiothérapeute, c’était neutre, pas infirmière ». Il a ensuite choisi de travailler avec le bois et a exercé le métier d’ébéniste : « Je bossais comme un mec ; je ne me plaignais pas, même si je la rotais ». Sylvain est enfin devenu animateur socioculturel. Quand il a entrepris les démarches qui allaient faire disparaître la femme qu’il était, il a fait un coming out pour ne pas laisser ses collègues et les jeunes dont il s’occupait dans l’incompréhension de ce que son corps allait afficher. Il pensait devoir démissionner et réfléchissait à un métier où personne ne le verrait : « Si j’avais pu aller dans une grotte, ça m’aurait bien plu ; je m’imaginais colleur d’affiches, le genre de job où l’on est sous une casquette et où personne ne nous demande rien ! ». Mais sa directrice le soutient et le retient.

La transformation de Sylvain n’a pas changé sa manière de travailler, ni le message qu’il fait passer aux jeunes. Mais alors qu’avant, il se considérait comme « une erreur » et ne se donnait pas le droit d’en faire, aujourd’hui il est décomplexé. Très pratiquement, Sylvain se rend compte qu’il rechigne moins à accomplir certaines tâches « féminines » : « Je râle peut-être un peu moins que mes collègues masculins quand je me retrouve à la vaisselle.

J’ai des logiques qui restent de mon éducation féminine ».

Il perçoit aussi quelques modifications de comportements à son égard : certaines jeunes filles sont plus « mielleuses » avec lui, quelques mecs songent à « lui péter la gueule », preuve que les unes et les autres « le reconnaissent dans son genre », comme le dit Monique. Si du jour au lendemain les jeunes ont dû s’habituer à appeler Marylène « Sylvain », ils n’ont jamais été hostiles à sa métamorphose, juste parfois « bousculés » : « Un jour, alors que je témoignais dans un groupe de jeunes, une fille a commencé à se tenir les seins quand elle a compris que j’allais me faire opérer. C’était touchant de voir qu’elle ne pouvait pas s’identifier ».

Sylvain a aujourd’hui irréversiblement dépassé les bornes de son premier sexe et de son premier genre. Il n’est pas devenu un « mec », macho et égoïste. Il aimait déjà la bière, il n’aime toujours pas le foot. Il a pris de l’assurance, s’est affirmé non sans parfois surprendre Monique : mais il a gardé la tendresse, la sensibilité et l’empathie héritées de sa socialisation au féminin. Sylvain n’est pas devenu une nouvelle personne : « C’est comme si j’avais eu une renaissance, mais sans tout recommencer, en composant avec mon passé ». Sa transformation a simplement ouvert son champ de possibles, tout comme celui de Monique qui, inconsciemment, a mis plus de « féminin » dans sa vie en voyant Sylvain mettre du « masculin » dans la sienne. Dans la mythologie intime de Sylvain, il n’y a pas que la forêt. Durant la période où il n’allait pas bien, il a décidé de se connecter à sa voix intérieure en réalisant un « voyage chamanique » qui lui a permis de rencontrer son « animal totem » : un éléphant, désormais tatoué sur son épaule gauche. De la trompe du pachyderme a fusé un jet divisé en deux : « Je me suis vu à l’âge de 12 ans, d’un côté en fille, de l’autre en garçon ». Aujourd’hui, Sylvain s’est « rassemblé ».

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