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La planète de Marlo


Oubliez les gros souliers, les gags «pouêt-pouêt» et la perruque violette à deux balles qui traumatise les enfants du premier rang. Même s’ils gardent leur nez en plastique, les clowns ont changé, ils ont élargi leur terrain de jeu, ont pris la parole et parfois même, ce sont des femmes, enceintes qui plus est! Celle-ci voit le monde comme «un rassemblement expérimental de différentes planètes», elle parle énormément mais observe encore plus, s’émerveille, écoute, absorbe et, quand la coupe est pleine, elle monte sur scène. Marylène Rouiller devient alors Marlo. Dans Ich wünsche Love, la clown angoissée de l’amour crée une planète bien à elle, décalée et rock’n roll, dans une mise en scène de Rebecca Bonvin.

Dans son costume improbable, legging argent et justaucorps string, elle parle de râteaux amoureux. Marlo en prend plein le cœur, alors elle brûle des lettres, joue aux marionnettes avec une robe de mariée, bref, elle tente de gérer son encombrant paquet d’émotions. Le public rit, parce que c’est plus drôle quand ça arrive à un clown qu’à soi - même. Femme d’énergie et d’instinct, Marylène trace sa route, à coup de projets, de rencontres et de voyages. Sûr et certain qu’elle n’a pas fini de réinventer, à la sauce dynamite, la clownerie au féminin.

Marlo, qu’est-ce que vous voulez partager sur scène?
Dans Ich wünsche Love, j’avais envie de parler des rapports amoureux, parce que c’était pour moi une nécessité à ce moment - là, mais de manière décalée. J’ai suivi l’idée d’un parcours Vita du cœur. Je ne parle pas des hommes, mais de mes réactions face au rapport amoureux. Je commence le spectacle avec rien, et à la fin, il reste les traces de ce qui a été vécu. C’était une création très intense émotionnellement, je suis allée creuser en moi, parce qu’une clown se met elle - même en jeu. Et se ridiculise.

Vous ne faites donc pas partie de ces humoristes cinglants qui retournent le couteau dans la plaie des autres?
Ah non! Je ne fais pas du tout ça. Je travaille sur l’émotion, mais comme si elle était quelque chose de réel, avec nous sur scène. Je la cherche d’abord en moi, puis je la matérialise sur scène. J’ai voulu montrer comment, avec des moyens de clown, tu peux t’en sortir quand tu es dans la mouise amoureuse. Sans m’en rendre compte, mon spectacle est très personnel, et touche tout le monde, mais ce n’était pas calculé.

En tant que femme clown, avez-vous le sentiment d’être hors norme?
Traditionnellement, on demande juste aux femmes d’être belles. On leur a accordé le droit d’être intelligentes, mais alors celui d’être drôles, c’est pas encore ça. On va me taxer de rétrograde, mais si on regarde dans la vraie vie, pas celle des magazines, où l’on conseille de sortir le clown qui est en soi ( elle se marre ), on s’aperçoit qu’une femme qui fait rire ça fait toujours un peu peur. Parce qu’elle se positionne, elle se met dans des situations ridicules et ce ne sont pas des attributs féminins : à la base, les femmes qui font rire sont moches. Ou alors elles ont des physiques alternatifs, comme moi. Je défends la recherche esthétique du clown, et pour cela il faut briser les complexes, ce n’est pas forcément évident. Accepter d’accentuer des défauts pour faire rire, ça demande un long travail, ça ne vient pas du jour au lendemain. En ça, oui, je me sens hors norme.

Et justement, comment choisit-on de devenir clown?
C’est sous un arbre à palabres, à Bamako, que j’ai pris cette décision. Bon, ça mûrissait depuis des années, ça a pris du temps. Je fais du théâtre depuis que j’ai treize ans. J’ai enchaîné les pièces, j’ai joué le solo Les aventures de Plumette et de son premier amant, d’Amélie Plume. Ça a bien marché, mais à cette époque, j’imaginais que le monde professionnel du théâtre était rempli de requins. Durant mes études universitaires, j’ai participé à plusieurs projets, jusqu’à trois spectacles durant l’été. À un moment donné, sur scène, je me suis dit que c’était fait pour moi. J’ai présenté mon mémoire, un parallèle entre l’écriture d’Amélie Plume et la mise en scène du solo qu’elle avait réalisé, et une semaine après, sans me poser de questions, je me présentais à l’école de théâtre Serge Martin à Genève. J’ai été prise, et le premier déclic est venu là - bas. J’ai eu un choc quand j’ai vu le nez rouge d’un élève lors de la présentation de son solo de clown. C’est devenu obsessionnel. J’ai complété ma formation par un module spécial clown, tout en commençant ma vie professionnelle d’actrice. Tout s’est ensuite enchaîné, en commençant par le Festival des réalités de Bamako où j’ai pu concrétiser mes premiers délires clownesques. Et c’est devenu ma planète…

Mais qu’est - ce que c’est que cette planète ?
C’est comme si, dans l’univers, il y a une multitude de planètes avec des tribus différentes : les cheffes, les bâtisseurs, les destructeurs, les parents, les inventrices, les oui - oui, les non - non, les sombres, les guérisseurs, les guides, les moutons… que des petits rigolos ou des savants pernicieux, c’est selon, avaient piqué à droite et à gauche pour en remplir la Terre ! La planète clown, pleine de décalages, de ratés, de bides, d’émerveillements, de poésie et de rigolades, c’est la mienne. Je joue avec les codes du plus petit masque du monde, je m’éclate là - dedans et au final, les gens sont touchés, ils se marrent, et je me dis que j’ai accompli ma mission, parce que si j’ai choisi ce métier, c’est aussi pour cette dimension :

utiliser le rire comme arme contre le désarroi et la bêtise.

Le nez te donne un super pouvoir ?
Oui ! J’ai toujours privilégié l’engagement dans mon activité de clown et, à côté des spectacles, je m’investis en tant qu’intervenante sociale. Le nez rouge offre l’immunité totale. Je suis intervenue dans des workshops avec des thématiques comme «la libération sexuelle» ou «les femmes et la mondialisation» et le mode clownesque permet d’aborder les thèmes avec un sacré décalage et une immense liberté de ton au final. On peut parler de choses très délicates. Il me revient en tête une intervention que nous avions faite à Bamako, dans un débat sur l’excision. On avait métaphorisé le clitoris avec la boule rouge qui sert à tourner la manivelle d’une boîte à musique, c’était hyper fort ! Sans le nez, en tant que femme blanche, ça aurait été un peu chaud de parler si ouvertement de ça. Ce nez, c’est le visa pour toutes les planètes..

Retrouvez toute l’actualité de Marlo sous :
www.lecollectifdupif.com

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