mobilités

Les vieux aventuriers et l’automate

À 80 ans, apprendre à utiliser les automates à écran tactile est un exercice compliqué, en particulier pour les messieurs:
pour eux qui sont habitués à être «ceux qui commandent et qui savent», pas simple de retourner à l’école… avec leur femme.

Il entre dans la salle en traînant les pieds, trois mètres derrière sa femme, et demande, penaud, s’il peut lui aussi participer au cours maintenant qu’il est là. Attentifs, carnet de notes à la main, les élèves tendent l’oreille, plissent les yeux, froncent le sourcil. Ou piquent du nez. « J’ai peur de perdre mes yeux, parce que j’aime lire, et mes jambes, parce que j’aime marcher. Et des démences séniles, aussi ». Participant au cours sur les distributeurs de billets, Jeanne, 83 ans, met des mots sur les angoisses qui l’étreignent. Les capacités physiques qui s’étiolent avec le temps fragilisent la capacité des personnes âgées à se mouvoir, une mobilité pourtant cruciale pour leur insertion sociale, leur autonomie de vie et, par là, leur estime d’eux-mêmes.


Vieillir va de pair avec de gros changements : on perd ses jambes, sa tête… et son permis. Jeanne raconte : « Au décès de mon mari, la voiture m’est restée sur les bras. J’avais l’impression de devoir la sortir comme on sort un chien, par obligation! J’ai rendu mon permis trois ans après. » Pour elle, renoncer à son « bleu » se sera fait de son plein gré, sans émoi. Pas sûr que ce soit le cas de Pierre qui, malgré ses 82 ans, évoque avec des trémolos dans la voix les voitures de sa vie, la « Martini avec moteur Hispano Suiza », la « Citroën C5 » et la « C7 Traction Avant ». C’est son épouse Bluette qui, pas dupe, l’a inscrit au cours « parce que ça pourrait être utile ».

Les pommes de l’électronique
Aux petites défaillances physiques et aux compagnons de vie qui s’en vont s’ajoutent d’autres bouleversements. Hélène, une jeune retraitée de 63 ans, se rend bien compte qu’elle est en train de basculer dans la catégorie des seniors, ceux que les évolutions technologiques laissent sur le bas côté : « Je ne suis plus totalement dans le coup : encore un peu, mais déjà plus assez ». Les guichets et les petites gares ferment, chercher un horaire ou acheter un billet de train se fait désormais de plus en plus par internet, par sms ou en pianotant sur un écran tactile. Mais quand on n’a jamais touché d’ordinateur, comment comprendre que ce n’est pas parce que le contenu de l’écran change que tout disparaît ?

Dans la peau du débutant
Réussir à s’adapter à ces changements demande de faire preuve de débrouillardise et d’humilité. Ces dames en seraient-elles mieux dotées ? Lors de l’exercice pratique sur les distributeurs, Pierre ne semble pas vraiment à son aise : un peu à l’écart, le regard distrait, alors que les participantes se pressent d’essayer à tour de rôle. Bluette commente : « L’exercice était difficile pour lui, mais il ne l’a pas dit. Il était ingénieur, c’est lui qui donnait des conseils, alors aujourd’hui c’est dur de se retrouver dans la peau de celui qui doit apprendre ».

Pierre rétorque crânement : « Je préfère être actif du ciboulot plutôt que nourrir une machine qui ne digère que ce qu’on lui donne ! »

Si les vieilles dames se disent craintives sur la route, elles semblent pourtant prêtes à en découdre avec les chicanes numériques : la fréquentation des cours – à 80 % féminine – le prouve. Une fois leur mari (et chauffeur!) malade ou décédé, elles apprennent vite à se déplacer autrement qu’en voiture. Et développent de petites stratégies pour retarder la menace de la sédentarité : éviter les gares le soir, programmer ses sorties, accepter l’aide d’autrui… et ne pas oublier son chariot pour aller en courses.

« Toute ma vie c’était « hue-hue-hue », j’ai toujours dû me stresser. Maintenant que je suis à la retraite, j’aime prendre mon temps ». Une décélération qu’Hélène goûte enfin.

Et qui fait rêver les plus jeunes..

Source:
Cours «Être et rester mobile»,
www.restermobile.ch

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