6000 bornes

défis des filles

À Montréal, il y a Josiane. À Porrentruy, il y a Laure. Dans chaque numéro de George, elles mènent en parallèle une expérience insolite proposée par vous, nos lectrices et lecteurs.

Défi relevé pour ce numéro 2
Demander un diagnostic de chirurgie esthétique
à l’orée de la trentaine
Line, Winterthour

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JOSIANE, MONTRÉAL
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9’241.64 $, c’est-à-dire 8’474.68 CHF pour une liposuccion de trois zones. Le prix est fonction des deux positions qu’on devra me faire adopter, car, m’explique - t - on, ce ne sera pas une mince affaire de me retourner pendant l’opération. J’aurai le sommeil lourd.

La clinique où je me trouve n’a rien de glamour, sinon le nom à particule de la secrétaire et les lettres dorées sur la pochette blanche dans laquelle on remet aux clients l’évaluation des coûts. Située dans un quartier populaire de la ville, elle se trouve à l’angle de deux rues où la junk food règne. La vérité, c’est qu’on se croirait chez le dentiste. Banal, bien que légèrement inconfortable. Les publicités de dentiers sont remplacées par des photos de femmes qui vantent le Botox®. Pas de tapis épais, pas de coupe de champagne en guise de cadeau de bienvenue. Pas de vedettes de cinéma. C’est Monsieur et Madame tout- le - monde qui vient là. Acheter du rêve? Se faire rénover la carcasse pour étirer le sentiment que tout est encore possible? Je n’en sais rien. Ce que je vois, ce sont des gens ordinaires. La dame en face de moi est peut - être là parce qu’un cancer du sein lui en a grignoté des morceaux et l’adolescent assis à mes côtés parce qu’il juge qu’il a assez souffert de ses imperfections.

Je rencontre d’abord l’infirmière dans une salle d’examen. Elle me demande de revêtir une chemise d’hôpital pour rencontrer la doctoresse. Cette dernière jette un coup d’œil au dossier et affirme que j’ai un «poids santé». Elle veut ensuite savoir ce qui me déplaît dans ma silhouette. Devant un miroir, je désigne ce qui dépasse en accusant l’âge, pendant qu’elle pointe du stylo les zones où il lui sera possible d’intervenir. Au bout de six minutes, nous passons à son bureau. Elle explique la procédure de la chirurgie, les risques, la convalescence, puis me montre des photos de patientes après l’opération, souligne les défauts qui demeurent malgré tout. Page après page, les corps se déclinent en différents modèles et je la vois, de médecin, se transformer en vendeuse de voitures. Celle qui qualifiait plus tôt mon poids de « santé » utilise maintenant le qualificatif «anormales» pour parler de mes cellules graisseuses, avant de nuancer en bafouillant devant mon regard qui trahit une indignation mâtinée d’inquiétude. Anormale?

De retour en mode médecin, elle refuse de parler d’argent et me reconduit au bureau de l’infirmière. En me tendant des ordonnances pour des prises de sang et des cachets contre la nausée, cette dernière, bavarde, souligne que les implants mammaires sont particulièrement populaires. Les banques offrent du financement, me dit-elle, avant de me donner la carte d’une boutique où acheter une gaine.

Délestées de quelques billets et les complexes bien aiguisés, mes cellules «anormales» et moi sortons avec la certitude qu’il faudra bien un jour ou l’autre faire face à la ruine. Plutôt dans le miroir qu’à la banque.

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LAURE, PORRENTRUY
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Avant de me rendre à la clinique, je me maquille plus que d’habitude, comme s’il était suspect que, sans fard ni rouge à lèvres, je demande à me faire refaire les seins.

Bref survol avec le chirurgien des raisons de ma visite : image de soi, effets des ans… je bredouille les banalités d’usage. Il n’en attend pas plus: les mots- clés sont lâchés. J’ai ma place dans ce cabinet, même si j’espérais confusément qu’on me refoule à l’entrée. L’âge et l’éthique n’ont pas droit de cité. Tu veux changer ? Qu’à cela ne tienne. On surfe sur tes complexes et on fait la nique au temps qui passe.

Torse nu, j’éprouve le concret de la consultation. Le ruban à mesurer qui chiffre les effets de la gravité en «centimètres d’étalement de peau», la photo crue de mon buste à l’écran, puis, très vite, le verdict : «dans votre cas», mastopexie, c’est-à-dire regalbage, ascension, ablation de l’excédent de peau. Au prix de quelques coutures, la promesse d’un sein fougueux. Pour davantage de volume, il y a les implants. Durée de vie: 10 à 15 ans la paire. Je fais un rapide calcul: 3 - 4 changements de pneumatiques jusqu’à l’AVS, puis l’option biodégradable pour la tombe? Si même l’antidote au vieillissement fait aveu de péremption, il y a de quoi rester perplexe.

Des mastopexies, le toubib en fait 200 par an. La mienne peut être bouclée en quelques semaines. Sécurité, hygiène, discrétion. J’aligne 7’900 CHF, on m’anesthésie, je sors de la clinique avec quelques hématomes et attends un an pour un résultat harmonieux. Effets psychologiques garantis. Le discours est tellement orienté vers la solution que j’en viens à penser qu’il fait écho à un réel problème. On parle de mes seins comme d’un objet améliorable. J’ai en tête des images de vieilles tables qu’on donne à poncer, de canapés qu’on rhabille. Pas sûre cependant que la chirurgie esthétique tienne du recyclage.

«À bientôt», me glisse le chirurgien en m’escortant dans le couloir. Si on se croise, ce sera par hasard et sans bistouri, me dis-je en rendant à la rue ma carcasse fière de sa patine. Je jette un regard complice aux fissures du trottoir et aux façades taguées.

Comments
Une commentaire to “défis des filles”
  1. Sylvain dit :

    Je ne me suis jamais retrouvé dans cette situation, mais j’imagine ce que vous ressentez. Moi, quand je vais faire un bilan de santé chez mon médecin, j’ai déjà l’impression d’être une chose ou un animal que l’on scrute avec attention. Je suis fier en tout cas de ces femmes qui ont su poser les limites entre le possible et le faisable.

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