flashes

QUAND L’ATTRACTION FAIT LA LOI

Flashes est une rubrique dédiée à une auteure, chercheuse ou artiste romande qui nous dévoile, en quelques traits, sa vision du monde. Dans ce numéro, Sandra Korol, auteure dramatique et comédienne. Ses pièces sont publiées dans le recueil Pièces 2003-2009, aux éditions Bernard Campiche.

2000 - 2003. Paléolithique inférieur.
Mon monde est un rocher en déséquilibre au-dessus de mon crâne. Massif. Incompréhensible. Incontrôlable. Prématurée au monde du travail, je traîne mes genoux en sang des plateaux de théâtre aux plateaux télé. J’y vois des gens lumineux, j’attire ceux qui me foutent des claques. Sur un tournage, un vieil acteur me demande si j’ai envie qu’il me fasse sauter sur ses genoux entre deux prises. Le technicien à côté de lui se marre. Ça fera bilboquet, il dit. Sur la route du retour, une camionette lancée à pleine vitesse se colle contre ma portière: tu pouvais pas démarrer plus vite au feu, mal baisée?! Ivre de colère, le conducteur jette son mégot allumé dans ma voiture. Je transforme ces affronts en pamphlets pour divers magazines. Je suis engagée. Artiste. Féministe. Braquée. Barricadée. Je suis en rage. La vie me le rend bien.

2003 - 2006. Antiquité.

Développement et adoption de l’écriture. Par inadvertance. L’impondérable se tape l’incruste dans mon intimité et ne manque pas de la propulser à la lumière. Mes drames à la ville s’incarnent soudain à la scène; à ce point séduisants que mes pairs m’adoubent du jour au lendemain. L’étiquette me brûle. Et me subjugue. Je consens. Cette amante exigeante et bling-bling m’ouvre la page culturelle des hebdos. Et les bras du public. J’encourage. Le sang a formé des croûtes sur mes genoux. Elles accrochent les alvéoles fragiles de mes bas de soie. Ça se terminera en burn-out, cette histoire. Qu’importe. Cheese. Je suis dramaturge. Drama queen. Workaholic. Sollicitée. Encensée. Exécrée. Catadioptre de tous. Sauf de moi-même. La vie me le rend bien.

2006 - 2008. Renaissance.
Ou réincarnation. Mort subite en tous les cas. Moins par analyse que par opiniâtre méditation. J’expérimente la dissolution. En un battement de cil, mon monde extérieur devient symbolique et mon monde intérieur, réel. Je glisse de l’autre côté du miroir. En cadeau, la vie m’envoie en Afrique, écrire l’histoire de vingt- cinq êtres humains qui ont survécu au génocide rwandais, entre autres chaos, sans jamais basculer dans la haine. Parce que le bourreau et moi sommes la même personne. Parce que le vrai génocidaire, c’est l’égo. Parce que si je veux étouffer la guerre, je dois le faire en moi. Tiers- monde sous - développé? Vraiment? Je suis. Je suis. Je suis. La vie me le rend bien.

2008 - 2010. Époque contemporaine.
Déclin des illusions et saut quantique. J’envoie valser le yoga parce que ça ne m’amuse plus du tout. Et j’écris ma première pièce pour enfants en mangeant des M&M’s. Un beau matin à l’aube, une camionette me coupe la route. Mon scooter valse dans le décor, mais je me rattrape miraculeusement. Ivre de colère, le conducteur m’abreuve d’insultes en­­flam­­mées. Écrire un pamphlet ou ap­peler les flics ? Je regarde son visage. Derrière sa colère, je vois sa peur. Si semblable à la mienne. Alors je souris. Et je pars au bord du lac regarder le lever du soleil. Cliché? Tant pis. Tout est entre mes mains. À chaque instant. Ma réalité est un champ infini de potentialités. J’en suis le point d’attraction. Atypique. Autonome. Apaisée. La vie me le rend bien.

Laisser un commentaire

  • Archives