sur le vif

La Berlinale, Festival International du Film de Berlin, du 6 au 16 février 2014

La Berlinale, Festival International du Film de Berlin, du 6 au 16 février 2014
*** Sélection George ***


The Dog
, USA 2013, 101 min, English
Director:
Frank Keraudren, Allison Berg
Cast:
John Wojtowicz, Liz Eden

Le 22 août 1972, trois hommes rentraient chez Chase Manhattan Bank à Brooklyn, New York, pistolets à la main, en clamant l’argent et prenant en otage sept personnes pendant quatorze heures.

Si cela ne rassemble qu’à l’énième cambriolage de banque dans la métropole américaine, la raison qui poussa John Wojtowicz à l’organiser n’est pourtant pas anodine: payer l’opération de transition sexuelle à sa compagne.

Né en 1945 à Brooklyn d’une famille d’immigrants italo-polonais, John Wojtowicz grandit dans un milieu républicain. À vingt ans, comme beaucoup d’autres, il part au Vietnam. L’expérience du front sera bouleversante et lui fera remettre en question ses convictions politiques. Deux ans après son retour, il quitte sa femme et ses deux enfants pour se rapprocher du milieu de la contre-culture new-yorkaise. À partir de 1969, il côtoie le Gay Activists Alliance et en devient un militant engagé. C’est là qu’il rencontre Ernest Aron. Les deux tombent amoureux et se «marient» en 1971. Confronté au désire de Aron de commencer une transition pour devenir entièrement une femme, Wojtowicz ne trouve pas d’autres solutions que de cambrioler une banque pour récupérer l’argent et «voler au Danemark pour réaliser le rêve de Liz». Mais on le sait bien, la vie n’est pas un film: ce Walter White d’avant l’heure, qui choisit de dévier des chemins de la loi pour sauver ce qu’il a de plus cher au monde, est attrapé par la police et finit en prison pendant sept ans. Pourtant, son acte marque profondément les esprits de ses contemporains et amène la société américaine à se pencher publiquement sur des sujets jusque-là demeurés tabous tels le mariage homosexuel et le transsexualisme.
Présenté dans la section Panorama de la 64ème Berlinale, The Dog explore la vie de John Wojtowicz sans jugements. Le regardant, on rit, on pleure, on s’indigne et on s’émeut. En mélangeant des entretiens en studio avec des prises de vues contemporaines et beaucoup de matériel d’époque, le documentaire est le produit de plus de dix ans de travail de recherche. Les réalisateurs Frank Keraudren et Allison Bergdonner donnent ainsi vie à un puissant regard d’ensemble sur la vie incroyable de ce petit homme qui n’avait qu’un seul credo: l’amour.


Vulva 3.0
, Allemagne, 2014, 78 min, allemand
Réalisatrices: Claudia Richarz, Ulrike Zimmermann

Alors que tout le monde se pressait pour se rendre à la présentation de la dernière œuvre signée Lars von Trier, où Charlotte Gainsbourg se dévoile sous tous les angles, devant mes yeux se manifestait une jouissante célébration des femmes par la projection du documentaire allemand Vulva 3.0.

Claudia Richarz et Ulrike Zimmermann présentent une analyse complexe et exhaustive autour de la mode récente de la nymphoplastie, c’est-à-dire de la chirurgie esthétique du vagin.

Aujourd’hui, de plus en plus de femmes se soumettent à des interventions chirurgicales pour modifier les apparences des leurs petites et grandes lèvres. Cependant, beaucoup de femmes sont très prudes concernant leur sexe. Elles font partie d’un monde hypersexué, où l’on est constamment bombardé-e par des images stéréotypées de beauté féminine qui ont très peu à voir avec la réalité. La beauté naturelle du vagin dans sa diversité de formes est cause d’insécurité, car elle se trouve confrontée avec des vulves plastifiées, totalement glabres, lisses, aseptiques. Vulva 3.0 livre de nombreux témoignages, avec un montage bien rythmé. On y voit une chirurgienne en faveur de ces opérations, ainsi qu’une photographe célébrant les traits de la féminité. Dans le monde de l’industrie pornographique, on connaît un photographe spécialisé en retouches des photos de parties intimes. Le discours se prolonge sur le stéréotype de la Venus Noire et on parle de mutilation et circoncision féminines, pratiques religieuses, oui, mais aussi pratiques utilisées en Europe pour soigner l’hystérie. Les pulsions sexuelles chez les femmes ont toujours été perçues comme un danger, la société moderne voulant réprimer son côté arriéré, animal. Ainsi, la femme dépourvue d’appétit sexuel, frigide, peut être mieux contrôlée.

Le documentaire est une excellente vue d’ensemble sur un phénomène contemporain dont on ne parle pas souvent; il aborde aussi la question de l’importance de l’éducation sexuelle. Nous sommes convaincues qu’il devrait être projeté dans toutes les écoles, car Vulva 3.0 décomplexe et instruit. Il glorifie la diversité du corps féminin en nous montrant sa beauté la plus intime.


52 Tuesdays
, Australie, 2013, 114′, Anglais
Réalisatrice:
Sophie Hyde
Avec:
Tilda Cobham-Hervey, Del Herbert-Jane

La 64e édition de la Berlinale s’est terminée en célébrant l’Asie: l’ours d’or va au film chinois Bai Ri Yan Huo de Diao Yinan; le prix de la contribution artistique à Zeng Jian, directeur de la photographie dans Tui Na de Lou Ye; le prix de la meilleure interprétation féminine à l’actrice japonaise Haru Karoki dans Chisai Ouchi de Yoji Yamada. Dans ce monopole asiatique, un film australien emporte l’ours de cristal (prix du jury des jeunes) et est couronné par le Teddy Award du magazine Siegessäule: il s’agit de 52 Tuesdays de Sophie Hyde, un film qui traite de transsexualisme, parentalité et de la découverte de la sexualité dans un monde hypersexué.

52 Tuesdays est l’histoire de Billy, seize ans, et de sa mère, Jane, qui décide de commencer une transition pour devenir un homme.

Au début d’une thérapie à base de testostérone, Jane éloigne sa fille de la maison nécessitant du temps pour elle toute seule. Billy, qui accepte sans hésitation la décision de sa mère, n’accepte pourtant pas cette séparation forcée. Ainsi, mère et fille décident de continuer à se voir un jour par semaine, toutes les semaines, pendant une année. Tous les mardis après l’école, Billy se rend chez Jane, qui désormais adopte le nom de James. Leur relation évolue suivant les transformations physiques de James, qui en tient un journal vidéo. De même, Billy aussi commence à se filmer: elle se confie à l’œil de la caméra, témoin silencieux de ce qu’elle n’arrive pas à révéler à sa mère. En même temps, la jeune fille se lie en amitié avec Jasmin et Josh, deux camarades d’école avec lesquels elle vit ses premières expériences sexuelles. Encore une fois, sa caméra rapporte les échanges de ce triangle, vécu avec curiosité, ouverture et innocence, mais gardé secret. James, de son côté, cache le désespoir face au fait de devoir repousser l’opération, l’histoire d’amour avec une femme, le poids du regard des autres.
52 Tuesdays a été effectivement réalisé sur la durée d’un an, tourné uniquement le mardi de chaque semaine. À chaque fois, les acteurs et actrices recevaient le scénario pour la semaine suivante, sans connaître à l’avance le destin prévu pour leur personnage. Telle la vie. Le passage d’un mardi à l’autre se fait par l’insertion d’une image liée à l’actualité globale de la date en question. Ce mélange entre histoire collective et histoire privée ne fait que donner plus de puissance aux personnages, qui questionnent constamment les règles identitaires de la société dans laquelle s’insèrent. Même si l’on sait pertinemment que le chemin de l’acceptation est encore long, le fait que 52 Tuesdays ait été primé par le jury des jeunes nous donne de l’espoir pour le futur.

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