sur le vif
Visite Guidée: 57ème Biennale de Venise
Ouvert en mai dernier, ce rendez-vous international autour de l’art contemporain sature la ville d’expositions et événements. Voici un mini guide des incontournables georgesques.
Anne Imhof, Faust, Pavillon Allemand, Giardini
Pour entrer dans le pavillon allemand il faut faire la queue. Une barrière métallique entoure le bâtiment, des chiens de garde au-delà de la grille grincent les dents et aboient contre les gens qui attendent. De tout cela se profuse un air sinistre. L’intérieur du pavillon est vide et gris, la lumière blanche et plate; on marche sur un faux sol en plexiglas. Ici et par là, autour de nous et en dessous nos pieds, des vestiges de présence humaine – un matelas, des objets, des signes sur les murs. Juste au-dessus de nos têtes, à des hauteurs irrégulières, des perchoirs et des socles dont on ne comprend pas l’utilité jusqu’au moment un performeur habillé en noir rentre dans l’espace et va y s’asseoir, en regardant devant lui, les yeux figés dans le vide; il a les pieds nus, le crâne rasé, il ne bouge pas; entouré soudainement par la foule qui le photographie, il ne semble pas s’en apercevoir. Sous le sol transparent, d’autres performeurs apparaissent: des figures androgynes qui se rapprochent, s’éloignent, fixent les visiteurs avec la même inquiétante ambiguïté entre présence et absence.
Anne Imhof détruit ainsi le mythe de la transparence en tant qu’instrument de proximité, car la possibilité de voir ne clarifie pas, n’explique rien: au contraire, cela produit surtout des sentiments d’aliénation et de détachement. En nous faisant rentrer dans un univers-prison auquel on participe insouciant-e-s, l’artiste nous pousse à nous confronter avec les invisibles infrastructures sociales qui nous entourent au quotidien.
Crédit image: Eliza Douglas jouant dans Faust, Anne Imhof © Nadine Fraczkowski
Phyllida Barlow, Folly, Pavillon Anglais, Giardini
Mamie terrible de l’art contemporain, Phyllida Barlow s’empare du pavillon anglais avec ses sculptures sur-dimensionnées. Le pavillon est entouré de gigantesques sphères en béton gris tachées de rose, de noir, vert et jaune; elles sont de plusieurs tailles et sont situées sur des supports en ferre avec des pieds carrés qui les élèvent à des hauteurs différentes. Alors qu’on rentre dans les salles d’expositions, on se sent un peu tel Alice au pays des merveilles après avoir essayé le biscuit la rendant minuscule. Le matériel brut et lourd des œuvres de Barlow semble affligé d’éléphantiasis, toute en gardant une structure jouissive et dérisoire: ainsi, le parcours à l’intérieur du pavillon ne devient pas un chemin à obstacles. En progressant dans cet univers hors d’échelle on passe donc, au contraire, d’une découverte à l’autre, en redevenant enfants et on se retrouve à imaginer les colonnes situées devant nous être en effet des parties de la colonne vertébrale d’en être monstrueux. En jouant avec équilibre et déséquilibre à la rencontre des opposés – lourdeur et légèreté, vide et plein, dur et mou – Barlow nous amène par une route qui parle du rythme, du temps et des contradictions de l’être.
Crédit image: Folly (sculptures à l’extérieur), Phyllida Barlow. Photo: Ruth Clark © British Council. Courtesy the artist and Hauser & Wirth
Tracey Moffatt, My Horizon, Pavillon Australien, Giardini
Avec l’artiste australienne Tracey Moffatt on découvre un pavillon national touchant aux droits des indigènes dans notre monde post-colonial. New Horizon groupe trois œuvres de Moffatt abordant d’angles différentes la question de la migration et la notion de racines: deux séries photographiques, Passage et Body Remembers, ainsi que l’installation vidéo The White Ghosts Sailed In. Cette dernière est une vidéo tournée en 16mm mettant en scène l’arrivée des Anglais comme si cela avait été filmé par les Aborigènes. Tragi-comédie et «mockumentary», The White Ghosts Sailed In remet aussi en question l’usage de la photographie et de la vidéo en tant qu’instruments de témoignage, alors que ces technologies ont aussi servi à perpétrer les stéréotypes raciaux et les abus sur les populations indigènes prises en photo dans les portraits ethnographiques. Moffatt utilise la même stratégie de la mise en scène pour les images de Body Remembers, où l’artiste se montre en portant une robe de femme de chambre. On ne voit jamais son visage: des fois on peut qu’apercevoir son ombre sur un mur; telle une présence inquiète qui habite celle que l’on peut croire être une maison coloniale australienne, Moffatt incarne le spectre des enlèvements de femmes et d’enfants issu-e-s des communautés aborigènes effectués par le gouvernement australien de 1869 aux années 1970.
Crédit image: Rock Shadow de la série BODY REMEMBERS, 2016, Tracey Moffatt © Courtesy of the artist and Roslyn Oxley9 Gallery, Sydney and Tyler Rollins Fine Art, New York
Andrew Rogers, I Am – We are, Palazzo Mora
Revenons du côté australien pour signaler aussi l’installation I Am – We are de Andrew Rogers, un événement collatéral organisé par le Centre Culturel Européen qui, pour chaque édition, réalise plusieurs expositions internationales groupant artistes du monde entier. Andrew Rogers est une des voix majeures de l’art contemporain australien; son projet I Am – We are présente un ensemble de huit sculptures en bronze et en acier, posées dans le jardin du Palazzo Mora. Chaque œuvre, presque de taille humaine, se présente d’une forme organique, ondulé, cristallisée dans un mouvement, créant des fantômes métalliques flottant long l’entrée du palais. L’extérieur de chaque corps, liquide et replié sur soit, se présente dur et rugueux, alors que son intérieur est brillant et lisse.
Les présences de I Am – We are, ayant un côté physique et inaccessible contrastant avec la beauté cachée, mais fulgurante, de l’intériorité des individu-e-s, deviennent ainsi métaphores des différentes subjectivités, en célébrant la diversité et la coexistante pacifique.
Crédit image: I Am – We are (détail), Andrew Rogers © 2017 Casey Kelbaugh
George Drivas, Laboratory of Dilemmas, Pavillon Grec, Giardini
Notre visite vénitienne se conclut au pavillon national grec, avec l’installation Laboratory of Dilemmas de George Drivas, qui transforme l’espace en labyrinthe où, petit à petit, les visiteurs découvrent une série de vidéos et d’enregistrements sonores d’un faux documentaire qui visuellement rappellent l’esthétique du found footage et du matériel d’archive concernant une expérience scientifique. Dans ce laboratoire l’on aurait découvert l’existence d’un type de cellules étranges ayant le potentiel de mieux résister à certaines pathologies. La question est: quoi faire de ces cellules? Doit-on les laisser proliférer dans le corps hôte, à côté des cellules souches, pour rendre l’organisme plus fort, malgré le risque de voir disparaître les cellules originaires? Ou doit-on les détruire, en dépit de leur potentiel bénéfique, car l’équilibre et l’existence de cellules natives en sont menacés? L’installation immersive termine son parcours avec la projection d’un court métrage en loop qui laisse ces questions sans réponse.
Pour cette œuvre, Drivas s’inspire de la pièce de théâtre Iketides d’Eschyle (464-463 b.c) le premier texte littéraire de l’histoire connue qui se concentre sur les questions relatives aux problèmes d’un groupe de personnes persécutées demandant asile. Laboratory of Dilemmas construit une narrative que l’on peut interpréter sur différents niveaux, entre histoire, biologie, économie grecque et crise des réfugié-e-s.
Crédit image: Laboratory of Dilemmas, George Drivas (film still) © George Drivas, 2017