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Les rues George à Sofia

George est l’un des noms les plus courants en Bulgarie et l’un des plus utilisés dans la toponymie des quartiers, places ou artères de ses localités. Il vous suffit d’ouvrir une carte de la capitale, Sofia, pour le constater. Qu’il s’agisse de ruelles, d’avenues ou de marchés, que les lieux ainsi dénommés soient fourmillants ou peu fréquentés, déclinés en version mascu­line, Georg, ou féminine, Gergina, ils interpellent les visiteurs par leur personnalité et leur animation particulières.

Il est fascinant de noter comment les contrastes de ces différents George révèlent les diverses facettes de Sofia… Certains de ces lieux, sélects, sont confortables et bien sages. D’autres, plus vieillots, sont imprégnés d’une atmosphère populaire et chaleureuse. Hors de toute frénésie, d’autres encore témoignent d’un temps passé; leur quiétude semble traduire le refus de leurs habitants d’adapter leur mode de vie au style «européen», qui s’impose depuis peu auprès des Bulgares.

L’une des principales rues du centre-ville, George Washington, trace la frontière entre deux mondes opposés: l’univers du shopping et de l’administration propre aux quartiers chics d’un côté et, de l’autre, l’atmosphère orientale du vieux quartier un peu oublié des immigrés. Une place, curieusement étirée en long corridor, relie ces deux pôles et accueille le marché central de la ville. Connu sous le nom de Georgi Kirkov market et plus récemment sous le nom de Marché des femmes, cet endroit emblématique était autrefois l’une des places préférées des femmes de Sofia. Aujourd’hui, ce sont essentiellement les touristes qui y flânent avec plaisir.

George le révolutionnaire, George la fleur d’une zone industrielle, George le socialiste du Marché des femmes et George le président américain du quartier musulman…

Aux alentours, tout le voisinage baigne dans la même atmosphère hybride, si caractéristique, qui permet aux visiteurs d’effectuer un véritable voyage spatio-temporel en quelques pas. Ainsi, dans un contexte d’échoppes musulmanes mêlées aux affiches bulgares des années ’80, la présence du nom d‘un président américain ne présente aucune logique, mais offre une échappatoire sympathique au consumérisme de la grande ville.

Ce métissage un peu paradoxal se retrouve dans Georgi Kirkov’s, une place construite durant l’ère communiste, qui porte le nom d’un publicitaire bulgare socialiste, très actif durant le XXe siècle. Aujourd’hui, cette place constitue un microcosme foisonnant où des personnes âgées et des minorités viennent vendre des objets ou denrées de leur production, d’origine connue ou non. Ces marchands insolites sont à même de vous offrir des poivrons et des lunettes sur un même étalage… Peut-être l’endroit où vous trouverez l’impensable…

À l’autre extrémité du quartier central, entre les rues touristiques et administratives de Moscow’s et Paris, un autre panneau annonçant George vous attend. Dans la rue cossue de Georgi Benkovski (révolutionnaire bulgare du XVIIe), vous pouvez prendre rendez-­vous dans le cabinet feutré d’un avocat, parfaire votre dentition chez le dentiste ou acheter une propriété, le tout en déboursant évidemment bien plus qu’au marché Georgi Kirkov. Près de 20 km au nord, au dernier arrêt du tramway, vous découvrirez le visage féminin de George à Sofia: une petite rue isolée nommée Gergina. Située dans la zone industrielle de la ville, elle donne sur une place calme et résidentielle où les habitants manifestent leur surprise si vous déambulez avec un appareil photo. «Pourquoi prenez-vous des photos?», «D’où venez-vous?». Nous leur avons alors expliqué notre intérêt pour le nom de la rue, et ils nous ont dévoilé que gergina signifie dahlia en bulgare. Les résidents choisirent ce nom pour désigner leur rue, il y a longtemps, en raison de la présence de ces fleurs dans leurs jardins. Une appellation humble et naturelle, telle l’atmosphère de cette place.

George le révolutionnaire d’une rue aujourd’hui bourgeoise et douillette, George la fleur d’une zone industrielle, George le socialiste du Marché des femmes et George le président américain du quartier musulman… Autant de visages et de personnages mêlés dans une improbable et parfois comique combinaison. Apparemment incompatibles, ils façonnent et révèlent pourtant l’âme bigarrée si attachante d’une ville qui ne craint pas la diversité.

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