sur le vif
Berlin Documentary Forum 3
BERLIN DOCUMENTARY FORUM 3
(29.05-01.06.2014)
** Sélection George **
Le troisième Forum du film documentaire de Berlin vient de fermer ses portes après quatre intenses journées d’échanges au Haus der Kulturen der Welt. Une programmation très riche (dix-sept projets présentés, chacun ayant une forme et un format différents) qui, cette année, se voulait centrée sur les difficultés d’élaborer des récits, montrer la complexité de la construction d’une narration objective qui se veut raconter la Vérité. Les sujets abordés étaient des plus divers: voici une petite sélection «georgesque».
Deutsche Bilder – Mädchen mit Zwanzig (Images Allemandes: Filles de vingt-ans)
Projections et discussions avec Philipp Blum, Britta Hartmann, Kay Hoffmann, Nathalie Karl, Ursula von Keitz, Eva Knopf, Götz Lachwitz, Cornelia Lund, Werner Ruzicka, Inga Selck, Thomas Weber.
Le Fonds de Recherche Allemand a récemment lancé un projet nommé «L’histoire du film documentaire en Allemagne, 1945-2005 ». Pour le troisième Forum du film documentaire de Berlin, en collaboration avec le directeur de la Duisburger Filmwoche Werner Ruzicka, le Fonds a présenté deux films documentaires sous le titre Deutsche Bilder. Ce titre a été choisi car il incarne l’idée de présenter des images, des «représentations» libres, se prêtant à des interprétations successives, en opposition aux termes «vues» ou «portraits», qui, au contraire, impliquent déjà une orientation du regard. Mädchen mit Zwanzig (Filles de vingt-ans), l’un des deux films sélectionnés, présente six court-métrages, réalisés entre 1960 et 1987 et témoignant des changements vécus par des jeunes allemandes dans leur vingtaine pendant la division du pays. Trois films produit par la BRD, trois par la DDR. De la célébration du travail féminin dans Stars (DDR, 1963) à l’élection de la dernière Miss Allemagne de l’Est (Miss-Wahl, DDR, 1987) au plus connu Angelika Urban, Verkäuferin, verlobt (BRD, 1971), filmant le quotidien d’une vendeuse au Kaufhof, les stéréotypes liés à la féminité se retrouvent transversalement, dépassant les différences culturelles et idéologiques.
Deutsche Bilder – Mädchen mit Zwanzig, Ursula von Keitz (g.) et Eva Knopf (d.)
© Marcus Lieberenz / Haus der Kulturen der Welt
Narco-Capitalism. Mexico on the Brink: The Feminicide Machine (Narco-Capitalisme. Le Mexique au bout: la machine féminicide)
Projection et conférence avec Sergio González Rodriguez, Jesse Lerner, Sofia Canales, Sylvère Lotringer
Ciudad Juarez se trouve à la frontière entre les États-Unis et le Mexique et est considérée comme l’une des villes les plus dangereuses au monde. Centre de migration et d’industrialisation sauvage pendant les années 1990, Ciudad Juarez a été le théâtre d’une série d’affreux féminicides, étant tristement connue pour une croissante vague de violence contre les femmes. Le réalisateur américain Jesse Lerner et le théoricien culturel français Sylvère Lotringer ont voulu se pencher sur les causes de ce phénomène, en s’appuyant sur l’aide de la journaliste mexicaine Sofia Canales et du journaliste et auteur mexicain Sergio González Rodriguez. Le résultat est un documentaire effrayant mais qui ne se veut pas morbide, transcendant l’anecdotique pour une recherche objective des faits.
La croissance économique fondée sur un système capitaliste a, en effet, ramené beaucoup de travailleuses des campagnes en ville. La rapide et progressive féminisation du travail amène un changement dans la perception des genres et met en discussion la stratification d’une société qui a, à son sommet, la figure du macho mexicano. Cette remise en question des valeurs traditionnelles peut déclencher des formes de violence, bien qu’indirectes, envers les responsables de ces changements. Ceux-ci n’étant même pas reconnus par l’administration de la ville car, à Ciudad Juarez, la plupart des crimes contre les femmes restent impunis. Un documentaire bouleversant qui dénonce un véritable dégât social issu de l’imposition du système capitaliste, l’échec du système judiciaire et l’importance de l’éducation.
Narco-Capitalism. Mexico on the Brink, Sergio González Rodriguez, Jesse Lerner, Sofia Canales, Sylvère Lotringer
© Marcus Lieberenz / Haus der Kulturen der Welt
Indigenous Activism in the Americas: Andrea Tonacci’s film archive (Activisme Indigène dans les Amériques: l’archive cinématographique de Andrea Tonacci)
Projection et conférence avec Maria Thereza Alves, Jimmie Durham, Ampam Karakras et Richard Hill
Pendant les années 1970, le réalisateur italien Andrea Tonacci voyage dans les Amériques pour filmer des entretiens avec des chefs indigènes actifs et actives dans la lutte pour leur auto-détermination au sens de la loi, du territoire et des ressources. Du Brésil à l’Amérique du Nord en passant par l’Écuador et le Chile, Tonacci réalise 22 heures de tournages. L’archive, aujourd’hui entièrement digitalisée et bientôt accessible au grand public, offre un portrait des communautés indigènes très loin des stéréotypes européens: Tonacci ne décomplexe pas l’identité culturelle et sociale de ces hommes et femmes, et montre davantage une approche unique en abordant les questions liées à la colonisation des Amériques.
La présentation de cet archive lors du troisième Forum du film documentaire de Berlin a été d’autant plus exceptionnelle: elle prévoyait en effet la présence sur le plateau de deux protagonistes des entretiens de Tonacci, Jimmie Durham et Ampam Karakras, trente ans après le tournage. Ce regard croisé a été enrichi par les présentations de Richard Hill et Maria Thereza Alves, donnant respectivement une contribution sur la situation canadienne et brésilienne. Cette dernière, par les témoignages directes des femmes Indios, mettait l’accent sur le rôle ambiguë de l’association gouvernementale FUNAI (Fundação Nacional do Índio, c’est-à-dire la Fondation Nationale de l’Indien) et sur l’existence d’un véritable camp de concentration pour les Indigènes se situant à 200 kilomètres de la ville de Belo Horizonte (MG), la Fazenda Guaranì.
Indigenous Activism in the Americas: Andrea Tonacci’s film archive, video still from Andrea Tonacci Archive
Photo © Andrea Tonacci