caméra au poing
Emprisonnée pour avoir brisé des tabous
Documentaire poétique et audacieux qui questionne la sexualité des femmes iraniennes d’aujourd’hui, Tabous, de la réalisatrice Mitra Farahani, lui valut d’être emprisonnée cet été lors de son retour en Iran. Charmant accueil pour ce film qui a provoqué, dans les divers festivals du monde entier, un enthousiasme chaleureux.
Sans voix off ni commentaires, Tabous nous plonge dans les confessions intimes et lubriques d’Iraniennes et Iraniens de classes sociales variées et opposées: la prostituée – dont le visage n’apparaît pas à l’écran – qui ne pratique que la sodomie afin de rester vierge jusqu’au mariage; la transsexuelle qui veut un jour se marier de la manière la plus conventionnelle qui soit; l’épouse qui regrette amèrement de ne pas avoir pu profiter d’une période de liberté avant son mariage pour vivre les plaisirs charnels; le père de famille réactionnaire et complètement perdu dans cet Iran moderne qu’il ne reconnaît plus; le religieux qui semble perplexe sur la thématique érotique du film traitée, en sus, par une femme.
La sexualité donc, pour toutes ces personnes, revêt une couleur différente, avec une constante cependant, la perspective du mariage. Comme le dit une des femmes, le mariage – le cadre officiel dans lequel est tolérée la sexualité – permet à bien des Iraniennes d’accéder à un mode de vie qu’elles mettraient plusieurs années à obtenir en Europe occidentale. La virginité se révèle alors être un passeport pour une certaine société.
Sacrée clé alors, que cet hymen! Sa fragile existence est un sésame qui permet d’entrer où l’on veut. Une clé aussi qu’on ne donne pas à tout le monde, gardant certaines portes fermées pour pouvoir les ouvrir à qui l’on désire ensuite (voir la prostituée qui ne tolère que la sodomie, malgré les offres faramineuses de certains clients). Étranges petits arrangements qui se font alors avec ce sésame, petits stratagèmes plus ou moins conscients, qui permettent aux femmes de jouer (ou pas) avec le dieu Janus et de continuer à esquiver les codes d’une société qui ne leur fait pas toujours la part belle. Manière peut-être de sortir d’un cloisonnement qui n’a pas fini d’enfermer les femmes? Il y aurait là une triste redondance entre le sujet du film et la réalité qui attendait la cinéaste dans son pays natal…
Tabous (Zohre & Manouchehr)
Un film de Mitra Farahani
Avec Coralie Revel et Sophiane Benrezzak
Iran/France 2004, 70 minutes