sur le vif
Festival Black Movie 2014
15e FESTIVAL BLACK MOVIE
Festival international de films indépendants de Genève
17-26 Jan 2014
** Sélection GEORGE **
Needle
Anahita Ghazvinizadeh (Iran, USA, 2013)
Teenage kicks PREMIERE SUISSE
C’est aujourd’hui que Lily, jeune fille de douze ans, se fait conduire par sa mère névrosée auprès de son père stressé pour se faire percer les oreilles. L’opération ne peut avoir lieu, les parents en plein divorce ne peuvent s’empêcher de se disputer. En 21 minutes, Anahita Ghazvinizadeh parvient à nous faire plonger dans les affres que traverse cette adolescente compulsive, incapable d’exprimer sa détresse autrement que dans la manipulation d’un chewing-gum, roulé sur toutes les surfaces, remis en
bouche et remâché. Magistral.
Needle a cette qualité d’un court qui donne volontiers l’impression d’avoir vu un long. Anahita Ghazvinizadeh, toute jeune iranienne de 24 ans, étudiante en cinéma aux Etats-Unis, a été repérée à Cannes cette année et récompensée par le prestigieux Prix de la Cinéfondation. Ce dernier encourage les jeunes talents internationaux d’aujourd’hui et leurs travaux d’école. Jane Campion, présidente du Jury en 2013 compare volontiers le travail de Ghazvinizadeh avec le Tiny Furniture d’une certaine
Lena Dunham, scénariste et réalisatrice américaine révélée pour sa série à grand succès Girls.
«J’ai senti une saveur unique dans la patte de cette réalisatrice. Needle est le produit de très fines
observations et c’est aussi un film très moderne.» (Jane Campion pour Variety)
When the Kid Was a Kid
Anahita Ghazvinizadeh (Iran, 2011)
Jeux interdits PREMIERE SUISSE
Taha se maquille, revêt une des robes de soirée de sa mère, chausse ses talons aiguilles. Il part ensuite rejoindre les autres enfants de l’immeuble, pour jouer aux adultes. Il y a l’hôtesse parfaite, le mari exigeant, la femme au foyer moralisatrice et Taha, la femme facile. Avec un charme inouï, le jeune garçon vit son rôle sans que personne n’y trouve à redire. Et pour cause, Taha est un petit garçon qui est vraiment tout seul au monde.
Ce court-métrage qui précéde Needle, a reçu de nombreux prix en Iran. La façon dont les enfants dans le film jouent leurs rôles dans une tolérance absolue, rend la transgression des genres absolument “inextraordinaire” d’une part, ce qui accentue avec autant de finesse que de force la montée (effective et symbolique) vers un plan final extrêmement éloquent, exactement comme dans Needle.
Deported
Rachèle Magloire, Chantal Regnault (Haïti, France, 2013)
Blues haïtien
Meilleur Film Documentaire et Prix « Droit de la personne » au Festival canadien « Vues d’Afrique » 2013
Depuis 1996 la loi américaine inflige la double peine : si tu es haïtien et que tu commets un crime, en prison tu iras et dans ton pays d’origine ensuite tu retourneras. Des Américains d’extraction haïtienne se retrouvent ainsi lâchés sur le sol haïtien qu’ils n’ont parfois jamais vu, dans un pays dont ils ne connaissent pas forcément ni la langue ni la culture. Certains se regroupent, certains chantent le blues, d’autres deviennent des SDF, tous ne comprennent pas comment ils en sont arrivés là, tels des somnambules dans un cauchemar permanent. Lorsque les réalisatrices nous font rencontrer leurs familles restées au pays, qui évoquent un frère ou un père en exil, on réalise que depuis leur naissance les futurs déportés n’avaient pas une seule chance de s’en sortir. Deported est le fruit d’une collaboration débutée en 2006 entre Rachel Magloire, journaliste et documentariste haïtienne et Chantal Regnault, photographe franco-haïtienne. Cette dernière est par ailleurs connue pour avoir photographié la scène voguing newyorkaise à son apogée (Voguing and the Ballroom Scene of New York 1989-1992, publié en 2011 chez SoulJazz Records). Leurs parcours respectifs entre Haïti, New-York et Montréal les ont amené à se retrouver par des chemins distincts et
progressifs autour des mouvements de déportations vers Haïti de criminels punis aux Etats-Unis ou au Canada.
Jeppe on a Friday
Shannon Walsh, Arya Lalloo (Afrique du Sud, 2012)
Urbanisme choral
Vusi le cantonnier, Robert le musicien zoulou, Arouna le restaurateur malien, JJ le promoteur blanc et Ravi le petit commerçant indien vont vivre tout un vendredi, du petit matin au coucher du soleil, sous la caméra-loupe de deux femmes. Jeppe est un quartier populaire en voie de gentrification avec en son centre, comme un coeur battant encore, l’incroyable et immense Hostel for Men, lieu de croisement du pire comme du meilleur. Les cinq hommes courent sans jamais s’arrêter incarnant chacun une frange de cette société sud-africaine post apartheid dans laquelle une nouvelle discrimination de classe est en train de s’affirmer.
Les deux réalisatrices trouvent la bonne distance avec leurs sujets, permettant au spectateur de se mirer dans les multiples facettes incarnées par chacun des personnages avec compassion et curiosité. Impeccable et sans fioritures.
Un « travelogue », une allégorie urbaine qui se distingue de la riche tradition d’un cinéma-direct centré sur les sujets de la ville, en démystifiant une Johannesburg souvent montrée comme une métropole dominée par une population masculine hostile.
Jeppe on a Friday est un documentaire collaboratif, pour lequel les co-réalisatrices Arya Lalloo (1980) et Shannon Walsh (1976), on invité une équipe de réalisatrices sud-africaines à regarder avec des yeux frais le quartier de Jeppestown en une journée. « Y-a-t-il un espace pour refléter les réalités urbaines sans tomber dans le tropisme des « Africains » dépeints trop souvent qu’au travers des grands drames, génocides, violences, corruptions et de la pauvreté ? Peut-on porter la réalité de nos contradictions quotidiennes à l’écran ? », telles sont quelques questions cruciales qui sous-tendent ce troisième film pour chacune des deux documentaristes.
Mujer conejo
Verónica Chen (Argentine, 2013)
O.F.N.I.
Ana, une jeune beauté d’origine chinoise est inspectrice des travaux finis pour la municipalité de Buenos Aires. Lors d’une mission dans le Chinatown de la capitale, elle découvre des accointances troublantes entre la police argentine et la mafia chinoise. Désormais en danger, elle est obligée de fuir la ville et part s’abriter dans sa maison de campagne. En route, elle s’aperçoit que le lieu est littéralement infesté de lapins… qui plus est, ces lapins sont des tueurs assoiffés de sang !
Objet très étrange, Mujer Conejo change de registre sans prévenir, passant du film d’auteur contemplatif au thriller haletant pour aboutir à l’anime pour adultes. Une femme lapin psychotronique !
Veronica Chen scrute une Argentine cosmopolite, où la mixité entre immigrés chinois et argentins n’a pas encore véritablement lieu, malgré l’importante présence de la communauté chinoise à Buenos Aires. La confusion identitaire de son héroïne est un thème que Chen considère très ancien mais dont les significations sont sans cesse renouvelées. C’est surtout un discours sur l’Autre, et les peurs qu’il draine…
«Dans mon film, tout est mélange. Ana, l’héroïne, est un poisson hors de l’eau. Elle est une chinoise qui n’en est pas une. Mais il y a aussi ces lapins qui ont modifié le paysage de la pampa argentine. Ils symbolisent la résultat d’une mutation de l’Asie prise dans notre géographie occidentale. Dans Mujer Conejo, l’animé doublé des lapins transgéniques sont l’expression de cette réalité : l’Asie est déjà parmi nous et nous avons déjà muté.» (Verónica Chen)
Mille soleils
Mati Diop (France, 2013)
Born to be wild PREMIERE SUISSE
Grand Prix du Festival International du FID, Marseille 2013
Magaye Niang, autrefois héros du film culte Touki Bouki, est peut-être vieux mais il n’en démordra pas, il veut aller à la projection en plein-air vêtu de sa chemise de cowboy préférée. Rock n’roll jusqu’au bout des ongles, Magaye n’a rien perdu de sa superbe et entre deux bières partagées avec ses potes, il raconte comment ce film a transformé sa vie, lui a fait rencontrer puis
perdre l’amour. Il raconte surtout pourquoi il n’a jamais pris le bateau ce jour-là et il est resté en rade sous le soleil sénégalais pour toujours. A la fois portrait lumineux du vieil homme et hommage inspiré à un film culte du cinéma africain, réalisé avec une grâce cinématographique pure par la nièce du maître sénégalais. La jeune réalisatrice Mati Diop, fille du musicien Wassis Diop, est aussi connue comme actrice, notamment dans le film 35 Rhums de Claire Denis. Passée par Le Pavillon, laboratoire de recherche du Palais de Tokyo, puis Le Fresnoy en 2007, elle compte trois courts métrages et un autre moyen métrage (Big in Vietnam) à son actif.
Looking for Adventure
Kimi Takesue (Pérou, USA, 2013)
Documentaire contemplatif
Des touristes occidentaux en quête d’aventure organisée arpentent les merveilles millénaires de la culture péruvienne, équipés de leurs appareils photos et de leurs tenues fluos de trekking, en décalage total avec les sites visités. En face d’eux, les autochtones cherchent à faire couleur locale, espérant grappiller les miettes dont voudront bien se délester ces visiteurs. Observation d’une grande finesse et sans commentaires du tourisme ethnologique, Looking for Adventure met en scène l’absurdité complète d’une certaine démarche touristique.
El destapador
Carolina Adriazola, José Louis Sepúlveda (Chili, 2013)
Documentaire en suspension PREMIERE EUROPEENNE
Dans un squat chilien, cohabitent d’étranges personnages qui aiment à se suspendre par la peau, pratiquent le « fist fucking », et cherchent à vendre leur sang pour quelques pesos, échangeant leurs idées sur la sexualité, la vie et la mort. Solitaires bien que vivant en groupe, ils se tolèrent les uns les autres sans forcément se lier. Carolina Adriazola et José Luis Sepúlveda réussissent à capturer en quelques plans l’âme du lieu et de ses habitants, décapsulant une tranche de réalité insolite et punk.
« Que décapsule le décapsuleur (sic El Destapador) ? » est une excellente question posée par un article chilien sur le film. La réponse se cherche au coeur des liens que tisse ce pamphlet chilien entre le cinéma, la politique et le corps : et la politique suggérée dans le film « commence dans ton propre corps », un corps vu comme véhicule entre pensée et action de résistance.
Et Sepúlveda de confesser qu’ils écrivent leurs scénarios comme s’ils étaient de la poésie.
« Ce que produit de subversif El Destapador et d’une façon plus générale ce cinéma sous-terrain et honnête que font Adriazola et Sepúlveda, c’est précisément la cohérence entre ses conditions de productions, sa structure narrative, son potentiel réflexif et sa circulation. » (Revista Séptimo Arte)
God loves Uganda
Roger Ross Williams (Ouganda, USA, 2013)
Documentaire à charge
Le pasteur ougandais a dû fuir. Exilé avec sa famille aux USA, il poursuit son combat contre les évangélistes extrémistes américains qui ont déterminé que l’Ouganda, perle de l’Afrique était le premier territoire à coloniser avec leurs idées génocidaires. Homophobes, abstinents, racistes et forcément hystériques, les membres de l’International House of Prayer représentés dans ce film méthodique, oeuvrent pour faire passer une loi condamnant à mort les homosexuels. Entreprise
néocoloniale à l’immense pouvoir financier, The International House of Prayer et ses avatars, telle une mafia spirituelle étend ses multiples bras, s’insinuant jusqu’au sommet de certains états. God loves Uganda nous rappelle que le précédent président américain était évangéliste, et que de l’huile sainte jetée sur les braises va allumer un incendie.
Déjà lauréat d’un Oscar du meilleur documentaire court avec Music by Prudence, qui dressait le portrait d’un jeune musicien zimbabwéen aux multiples difficultés, God Loves Uganda est le premier long métrage de Roger Ross Williams actuellement sélectionné pour la course à l’Oscar du Meilleur Documentaire 2014.
« J’ai grandi au sein de l’Eglise noire américaine. Mon père était lui-même un leader religieux influent dans notre communauté. J’allais à la messe tous les dimanches et j’ai chanté dans les chorales. Mais pour tout ce que l’Eglise m’a apporté de sentiment d’appartenance à un groupe, elle m’a aussi fermé ses portes en tant qu’homosexuel. Cette expérience a fait grandir en moi le désir d’explorer ce pouvoir qu’a la religion de transformer les vies, mais aussi de les détruire. (…) Plus j’ai appris sur la religion en Afrique, plus ma curiosité s’est développée. J’ai été frappé par la ferveur religieuse particulièrement intense en Ouganda. Cette quête m’a fait remonté les pistes de l’influence des mouvement évangéliques, pour me ramener au coeur du problème : les Etats-Unis. J’ai découvert que ce Mouvement au grand coeur en apparence, nourri par l’argent américain et l’idéologie, avait produit une fleur nocive, la Loi Anti-Homosexualité Ougandaise. J’ai d’ailleurs d’abord voulu suivre les courageux activistes qui se battaient contre ces politiques assassines. Mais j’étais plus curieux encore à propos de ces personnes qui, dans les faits et à travers cette loi, était directement susceptibles de vouloir me tuer. »
A Wolf in the Tree
Jiaxing Lin (Chine, 2012)
Amour impossible PREMIERE SUISSE
Un petit chaperon rouge est attiré et effrayé par le loup. Le loup est tenté mais ne veut pas lui faire de mal. Au pied des arbres dans la grande forêt, le désir et ses dangers se promènent imprudemment. Sur une plage, un homme en désire un autre, mais lequel est le chaperon et lequel est le loup ? Bijou de poésie graphique, A Wolf in the Tree ne livre pas tous ses mystères…