sur le vif

Le viol, un crime à géométrie variable?

L’histoire remonte à novembre 2012, à Genève, lors d’une soirée intitulée « Le viol, un crime à géométrie variable? ».
Au programme de la soirée, une table ronde qui propose de questionner le système pénal suisse et la définition actuelle du viol en Suisse.
On s’attendait à voir plusieurs associations féministes et LGBT autour de la table… Au final, seule une représentante de Viol Secours fut invitée au débat. Viol secours nous livre son impression à l’issue de cette soirée.
L’occasion de retrouver les voix des femmes que l’association genevoise accompagne, trop souvent absentes ou rendues invisibles des débats les concernant.

Le viol, un crime à géométrie variable?
Histoire et droit (1)

Journée contre les violences faites aux femmes
Novembre 2012

La soirée est ouverte par Pierre Maudet, le conseiller d’Etat chargé du département de la sécurité, qui commence en remerciant la police. Le ton est lancé. Une conférence sur l’histoire du viol de Georges Vigarello s’ensuit, puis la parole est donnée à Viol-Secours, au chef de la brigade des mœurs Philippe Droz, au centre de consultation LAVI, à l’avocate pénaliste Lorella Bertani, ainsi qu’à Nathalie Magnenat-Fuchs procureure au Ministère public.

Lorsque nous avions questionné le choix des intervenant.e.s, en déplorant notamment l’absence des associations LGBT, on nous a répondu qu’il n’y avait pas assez de chaises autour de la table et que cela alourdirait le débat. Mais qu’on ne s’inquiète pas, ces associations auront une place au premier rang et pourront prendre la parole…

Le «débat» commence avec Viol-Secours qui dénonce le caractère sexiste et hétéronormé de l’article 190 CP(2), qui n’est que le reflet d’une société patriarcale. Nous étendons notre analyse à tous les articles qui relèvent des infractions contre l’intégrité sexuelle, et insistons sur le fait que la manière dont la justice d’Etat interprète ces articles et les situations de violence faites aux femmes, est très souvent empreinte de stéréotypes dominants.

Le chef de la brigade des mœurs répond que «le délit sexuel se résume à la parole de l’un contre celle de l’autre et qu’il est difficile de faire la part des choses». Il continue en citant «le phénomène malheureusement pas rare des fausses déclarations et des fausses victimes». L’avocate nous demande «d’aller parler du patriarcat ailleurs», en affirmant que ce qu’elle a entendu «sur le 16ème siècle en France se passe aujourd’hui dans d’autres contrées». Elle relève également qu’il existe toute «une série d’indices», comme «le diagnostique de stress post-traumatique ou encore le discours cohérant de la victime, qui mis bout à bout, vont former le faisceau de preuves». Enfin, la procureure affirme que «la loi permet de punir les viols et les contraintes sexuelles» et que «sans aucune connotation philosophique ou jugements de valeurs (…), il y a un besoin de preuve comme pour toute infraction». Bien d’autres choses ont été dites pour ou contre le changement de l’article 190 du CP, mais nous ne retenons ici qu’une «belle» palette d’affirmations sexistes et racistes.

Pour Viol-Secours, lorsqu’une femme porte plainte pour violences sexuelles, cela ne devrait pas se résumer «à la parole de l’un contre celle de l’autre». La personne qui porte plainte et l’accusé ne sont pas dans une relation symétrique. Comment peut-on ne pas tenir – au minimum – compte du/des rapport/s de pouvoir entre un homme accusé et une femme victime? Que vient faire «l’argument» «des fausses plaintes et des fausses victimes» dans un débat sur le viol, si ce n’est de laisser entendre que ce serait une réalité tangible?

Nous réfutons également le discours qui stigmatise « les autres » en occultant et niant le patriarcat bien de « chez nous ». Les violences sexuelles découlent du système social et peuvent toucher toutes les femmes indépendamment de leur statut socio-économique, leur origine etc. Un viol est un moyen pour un homme d’asseoir son pouvoir et d’exercer sa domination, ici comme « ailleurs ». Nous sommes également interloquées par le fait que la notion de « faisceau de preuves » ait été fortement valorisée et mise en avant comme amplement suffisante pour « prouver » un viol. Comment comprendre alors que la majorité des plaintes pour violences sexuelles sont classées ? Serait-ce parce qu’elles ne correspondent pas au fameux « faisceau » ? Nous rappelons que toutes les femmes ne réagissent pas de la même manière, qu’elles ne vivent pas toutes les mêmes oppressions et qu’une femme ne développe pas obligatoirement un stress post-traumatique. Nous refusons une analyse de la justice d’Etat, qui pour reconnaître un viol, enferme les femmes uniquement dans un schéma de «la parfaite victime» en la médicalisant.

Enfin, il est manifestement encore nécessaire de rappeler que les lois, leurs interprétations et leurs applications sont faites par des hommes et des femmes qui sont partie prenantes de ce système sexiste. Et les violences sexuelles sont inhérentes à celui-ci(3).

En conclusion, la fin de la soirée a été hautement symbolique. La modératrice a interrompu la parole des associations LGBT en demandant de raccourcir leur intervention, et on passa sous un silence total le tract distribué par un collectif qui dénonçait tant le contenu que la forme de ce «débat». Tout le monde s’est congratulé et a salué «la portée de cette soirée». Nous, nous sommes restées bouche bée.

L’article 190 CP reflète un mode de pensée sexiste et hétéronormé disions-nous…?


(1) Conférence organisée par le Service pour la promotion de l’égalité (SPPE) et le Bureau de l’égalité (UNIGE)

(2) Art 190 (Viol)
1. Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l’acte sexuel, sera puni d’une peine privative de liberté de un à dix ans.

2. (…)
3. Si l’auteur a agi avec cruauté, notamment s’il a fait usage d’une arme dangereuse ou d’un autre objet dangereux, la peine sera la peine privative de liberté de trois ans au moins.

(3) Il est par exemple récurrent que des violences sexuelles soient interprétées par des juges comme de la séduction ou comme un acte passionnel

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