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Les sous cachés sous le matelas


Notre génération bénéficie, souvent sans s’en rendre compte, des acquis chèrement gagnés il y a quelques décennies à peine. Guite Theurillat, pionnière de l’égalité en Suisse romande, témoigne des moments-clés du combat des femmes pour leur autonomie financière.

«Très tôt, j’ai compris que l’autono­mie financière était une condition importante pour que les femmes parviennent à l’indépendance et qu’elles s’émancipent. Tout d’abord intuitivement, par l’ex­pé­rience concrète du modèle familial que j’avais et des anecdotes qui se racontaient entre femmes d’une génération à l’autre. Ensuite intellectuellement, lorsque je suis devenue collaboratrice du Bureau de la condition féminine du canton du Jura en 1979 puis Déléguée à l’égalité à l’Université de Lausanne en 2001.

A ce moment, j’ai pris connaissance des modèles sociaux qui régissaient les codes entre hommes et femmes depuis des siècles. Je me suis mariée en 1971, j’avais 24 ans et mon propre compte en banque. Je travaillais comme secrétaire alors que mon mari était encore aux études à l’EPFL. Je gagnais donc plus que lui. Une fois ses études d’ingénieur terminées, lorsque mon mari s’est mis à gagner plus que moi, je l’ai perçu comme une injustice et c’est une des raisons qui m’a poussée à entreprendre des études. Plus tard, j’ai ouvert ma propre école dans le canton du Jura. Ne pouvant m’assurer un salaire régu­lier comme indépendante, j’ai cherché un autre travail et c’est ainsi que j’ai été nommée à l’Université de Lausanne.

Au Bureau de la condition féminine jurassien, j’ai rencontré des femmes qui n’avaient que 50 francs d’argent de poche par semaine et qui devaient demander à leur mari lorsqu’elles voulaient aller chez le coiffeur. Elles étaient complètement subordonnées à leur mari et infantilisées. Dernièrement, une jeune femme me racontait que sa grand-mère avait commencé à vivre comme elle l’entendait depuis la mort de son mari. Son entourage craignait qu’elle ne s’effondre et c’est le contraire qui s’est produit. Elle allait chaque semaine chez le coiffeur, ne se privait pas de la manucure et de la pédicure. Par plaisir, elle s’était mise à manger des choses «interdites» par son mari, comme du saumon. La famille avait été effarée de réaliser sous quel joug elle avait vécu ses années de mariage. Dans ma famille, je me souviens très bien aussi que lorsque ma mère achetait quelque chose qui coûtait un peu cher, elle gardait le silence ou elle mentait carrément à son mari sur le prix. C’était considéré comme normal et de nombreuses femmes le faisaient, contournant ainsi les « interdits » mis en place par leur mari. Il y a une génération encore, les femmes devaient constamment trouver des astuces pour acquérir des objets qui n’étaient pas complètement nécessaires à la survie de la famille.

Actuellement, cela semble être des pra­tiques datant du Moyen Age. En Suisse, une majorité de femmes travaillent, même si ce n’est qu’à temps partiel pour la plupart. Elles ne gagnent toujours pas un salaire équivalent à celui d’un hom­me pour la même tâche (bien que plus diplômées que les hommes, les femmes gagnent en moyenne 19 % de moins qu’eux dans le secteur privé et 15% dans le secteur public, source: office fédéral de la statistique, 2006), mais elles sont devenues plus autonomes. Les histo­riens qui se sont intéressés à la vie quotidienne sont d’avis qu’auparavant les femmes dis­­paraissaient dans le ma­­riage. Elles pas­­saient directement d’une autorité paternelle sous la tutelle de leurs maris, sans avoir le temps d’être et de se vivre comme des personnes autonomes jouissant de droits et de liberté.

Aujourd’hui, la plupart des femmes gè­­rent leur propre compte en banque et si je me réfère à l’opinion des agents immo­biliers, un nombre croissant de fem­­mes de moins de 35 ans achètent des propriétés seules. Un agent d’assurance de ma connaissance constate pour sa part que les femmes sont mieux informées qu’elles ne l’étaient autrefois: «J’ai 45 ans, et, même entre ma soeur de 33 ans et moi, je vois une différence. Elle a appris les règles de base de l’épargne, se préoccupe de sa caisse de retraite et songe à réaliser un troisième pilier.»

En l’espace de cinquante ans, j’ai vu le statut féminin faire un bond dans le sens de l’émancipation grâce à l’autonomie financière. Bien entendu, je parle de femmes occidentales, blanches et pourvues de formations. Il reste encore beaucoup à faire pour toutes les autres, qui sont en réalité la vraie majorité.»

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