visite guidée

PAULINE BOUDRY ET RENATE LORENZ, «ARCHÉOLOGUES QUEER»


Arantxa Martinez, danseuse épileptique…

L’installation de Pauline Boudry et Renate Lorenz, «Contagious!», prix Accrochages 2010, était exposée, début 2011, au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne. Avant la présence des artistes cet été à la Biennale de Venise, petite initiation à leur «archéologie queer*», manière de plonger dans l’histoire pour démonter les catégories du genre et en rapporter une série de questions essentielles.

«Contagious!»
Un écran vidéo et une série de photographies balisent la pièce sombre dédiée à l’installation de Pauline Boudry et Renate Lorenz au Musée des Beaux-Arts de Lausanne. À gauche, un alignement de onze photographies du Dr Charcot, des portraits déshumanisés de femmes diagnostiquées hystériques à l’hôpital de la Salpêtrière. Comme un défilé de monstres au cirque, les images sont présentées de manière sériée et exposent aux curieux des figures sordides de la «démence féminine» de la fin du XIXe siècle. À droite, sur un grand écran vidéo, un film de douze minutes représentant une mise en scène actuelle de danses «épileptiques» et soi-disant afro-américaines, spectacles présentés au Café Concerts à Paris à la même époque. La reconstruction de ces danses fait face à un public branché dont l’intérêt pour le spectacle n’est pas clairement identifiable.

Les deux parties de l’installation accompagnent l’entrée dans la démarche historique des artistes. Des photographies pour expliquer les fondements de la vidéo, une vidéo pour renverser le stigmate béant sur les photographies, tout est dans le dialogue entre ces deux médias.

Pauline Boudry et Renate Lorenz explorent les soubassements historiques du genre. En «archéologues queer», elles vont à la recherche des signes et représentations des genres dans l’histoire, pour les confronter entre eux et les porter à notre connaissance. Elles cherchent dans le temps les stigmates et leurs renversements. Dans «Contagious !», ce sont les hystériques de Charcot face aux danses épileptiques. Dans une œuvre précédente, «Normal Work» (2007), les photographies viriles de la servante Hannah Cullwick, à la fin du XIXe siècle également, étaient mises en relation avec une vidéo où les poses masculines de celle-ci étaient reprises par un homme jouant une femme «butch» («femme virile»).


…et Vaginal Davis danseuse pseudo afro-américaine

«Contagious !» démontre que la photographie a un pouvoir de fixation des stéréotypes. Sur les clichés, tout semble cristallisé et scientifiquement avéré. Or tout est construit et artificiel : les portraits de Charcot sont fabriqués avec, quoi de plus contradictoire, des hystériques prenant la pose. De l’autre côté de la pièce, la vidéo prouve que tout est question de regard. Les artistes plongent dans l’histoire et nous montrent, à nous aujourd’hui, que le renversement du stigmate n’est pas récent : il était effectué au Café Concerts à l’époque même des photographies de Charcot. Avec les danses épileptiques, la folie des hystériques est montée en un spectacle jubilatoire, comme pour dire, par défiance : « Puisque vous voulez que nous soyons folles, nous le serons encore davantage ». Comme dans l’humour « camp » pour les gays – auto-dérision théâtrale et ironique – et l’humour juif, le stigmate est réutilisé par les personnes minorisées, à des fins de dédramatisation et d’auto-libération : « si je prends pour moi le stigmate que l’on m’impose, je n’en suis plus victime, ni de la personne dont il vient ».

Avec «Contagious !», notre regard est soumis à un interrogatoire qui exige que nous nous situions : sommes-nous dans la normalité, spectateurs et spectatrices observant la folie de manière curieuse, donc automatiquement cruelle ? Ou alors sommes-nous partie du spectacle, dans la minorité ? Et à quel point sommes-nous sensibles à la «contagion» ? Le public représenté dans le film semble, quant à lui, tantôt ennuyé et blasé, tantôt partie prenante. La contagion si redoutée ne semble pas avoir complètement prise sur lui.

Les frontières entre le corps sain et le corps malade, la normalité et l’anormalité, bougent et sont perméables. Les stéréotypes visant les personnes «anormales» ne sont pas éternels et sont également soumis à la marche de l’histoire. La seule chose qui demeure est la question de notre perception de l’autre – stéréotypé, stigmatisé, minorisé.
Or, cette question, celle de notre regard sur l’autre, nous est rarement posée. Elle l’est de la meilleure des manières dans le travail de Pauline Boudry et Renate Lorenz, à suivre, cet été, à la Biennale de Venise..

* «Queer» signifie l’ambiguité dans le genre : ni homme, ni femme, entre les deux, les deux à la fois, aucun des deux, etc.
C’est aussi une posture : être queer, c’est exercer le droit d’être ambigu-e pour ce qui est de son propre genre, et porter
un regard critique sur les genres fixés par la norme. « Queer » est une notion récente qui revêt de multiples sens,
et est en constante évolution à mesure de l’avancée des recherches théoriques.

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