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SAINT-GEORGES ET LE DRAGON QUI AIMAIT LES FEMMES


Cracovie, ancestrale citadelle polonaise, entretient sa légende où il est question de roi, de dragon, de brebis sulfureuses, de filles sacrifiées, de virginité préservée in extremis et de Saint Georges…

Il était une fois un roi, Krak, qui découvrit un coin de pays délicieux le long de la Vistule. Il décida de s’y établir et fit construire une citadelle sur la colline surplombant le fleuve. Il ignorait alors que dans le sein même de cette colline – le Wavel – sommeillait un terrible dragon. On raconte qu’un jour, la femme de Krak voulut se rafraîchir dans les eaux du fleuve. Mais à peine fut-elle entrée dans l’eau qu’un rugissement effroyable se fit entendre : la bête, éveillée par le bruit du plongeon, sortit de son antre et découvrit soudain l’activité qui animait les flancs du Wavel. En guise de tribut, la cruelle créature exigea de ses colocataires qu’ils lui fournissent désormais sa pitance. Les malheureux lui cédèrent jusqu’à la dernière brebis de leurs troupeaux. A court de victuailles animales, et terrorisée, la cité se résolut alors à lui sacrifier… ses jeunes gens. Survint alors un jeune cordonnier avec un plan pour venir à bout du monstre : il suffirait de remplir de soufre une panse de brebis cousue, puis de l’enrober de toison avant de l’amener à l’entrée de la grotte. Sitôt dit, sitôt fait. Le dragon sortit, et alléché par l’appât, le dévora d’un coup de gueule. A peine engloutie, la brebis piégée prit feu et le dragon, pour apaiser sa cuisante douleur, se rua dans la rivière qu’il engloutit à longs traits, tant et si bien que son ventre explosa. Krak, soulagé de ne plus avoir à céder sa fille en pâture au dragon, la donna donc, fraîche et pure, en mariage au jeune apprenti.

Le déferlement du christianisme sur l’Occident recouvrit cette légende d’un nouveau vernis, plus en odeur de sainteté auprès des autorités.
Il était donc toujours un dragon qui terrorisait la cité. Mais celui-ci exigeait de ses habitants que leurs femmes lui fussent livrées en pitance. Les habitants obéirent, et commencèrent par sacrifier les femmes les plus âgées. Le dragon répondit à ces offrandes par une colère noire, exigeant de la viande… plus fraîche ! La population tremblante lui abandonna donc des femmes de plus en plus jeunes, des plus pauvres aux plus riches. Quand arriva le tour de la fille du roi, un homme monté sur un cheval blanc franchit l’enceinte de la cité et se proposa de défier le dragon en échange de la conversion de toute la population au christianisme. Le roi acquiesça, et Saint Georges, puisque c’est de lui dont il s’agit, armé d’une lance et de sa foi, pourfendit le monstre, sauva la princesse et délivra Cracovie tout en un. Et la virginité de la dame de noble ascendance fut préservée, Dieu merci !*

Cet acte de bravoure valut à Saint Georges, bien des années plus tard, de se faire ériger au sommet du Wavel une église à son nom. Quand on s’y promène aujourd’hui on aperçoit encore, gisant à ciel ouvert, les vestiges de ce monument, désormais destitué de sa fonction de gardienne de la légende.
C’est qu’aujourd’hui la paix ne se monnaie plus à coups de livraison de femmes, vierges ou non. Le mythe, pervers, du héros mâle sauvant la pure jeune fille a enfin du plomb dans l’aile. Le dragon, en tout cas, dort d’un sommeil imperturbable depuis que la guérite qui mène à son antre a hérité d’un distributeur de billets : la chair de donzelle a bel et bien été supplantée par les 3 zlotys dont s’acquittent à la queue-leu-leu les touristes en quête de frisson….

* pour une relecture jouissive des mythes fondateurs de l’Occident, lire Lucía Etxebarría, et notamment Je ne souffrirai plus par amour, paru en 2008 qui décapite joyeusement héros, dragons et autres saints hommes.

Comments
Une commentaire to “SAINT-GEORGES ET LE DRAGON QUI AIMAIT LES FEMMES”
  1. Georges dit :

    Je suis fan de ce site !

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