souffrir pour être belle? toi-même!
Sanglantes confidences
Chaque mois, la femme saigne. L’homme non. Sur cette irréfutable particularité physiologique s’enkystent une foule de mythes.
Avoir ses règles ou y renoncer ? « Consciente ou inconsciente, la symbolique de la menstruation est encore trop profondément ancrée chez la majorité des femmes pour leur permettre de vivre sans anxiété une longue période sans règles », estime Saira-Christine Renteria, gynécologue-obstétricienne au CHUV (Centre hospitalier universitaire vaudois). Une analyse qui fait écho à un avis répandu : « Tant que j’ai mes règles, c’est que je suis fertile. Sans règles, j’aurais l’impression d’être ménopausée », confie Samira*, 38 ans. Et donc, plus bonne à rien ? « En tout cas plus à enfanter ! ».
« Pour moi, les règles c’est vraiment encombrant, comme les poils d’ailleurs. Je m’épile tous les deux jours et si on me donnait une pilule miracle pour que je n’aie plus jamais mes règles, je n’hésiterais pas un seul instant », dit Julie*, 20 ans. Mais pour Elena*, 28 ans, il en va autrement : « Depuis que je prends une pilule faiblement dosée en progestatifs, je n’ai plus de règles et c’est l’angoisse : je passe mon temps à me demander si je ne suis pas enceinte. »
La guerre du sang aura bien lieu : du côté des pharmas, on déploie énergie et moyens pour mettre au point des solutions médicamenteuses censées « libérer » le sexe féminin. Commercialisées aux états-Unis, Lybrel ou Seasonale, par exemple. La première veut « décomplexer les femmes » en appuyant sur le fait que « les règles sont une fatalité d’un autre âge » alors que la seconde ne les fait saigner que tous les trois mois.
Des pros et des antis
Alors les règles, dernier bastion de la domination masculine ou libre choix donné aux femmes de les revendiquer ou les éradiquer ? « Les revendiquer et même, les glorifier ! », clame le mouvement naturaliste. La naturopathe québécoise Mona Hébert, par exemple, fustige la « Femme Tampax » : « La femme est si étouffée par d’épaisses couches de patriarcat et de misogynie qu’on ne sait plus comment aborder la menstruation. On a honte de son corps et de son sang. On perpétue le dédain et le manque de confiance dans ses processus naturels. Les femmes dépensent beaucoup d’énergie et d’argent pour soulager leurs symptômes menstruels mais s’occupent très peu du phénomène en soi. » Et de réclamer une sexualité libre durant ces jours « rouges », en lien avec la lune et l’univers, bref la célébration de ce cycle menstruel « microcosme du grand cycle de la vie, qui nous remet en contact avec nous-mêmes et avec la nature. »
« Ce n’est pas dangereux d’avoir ses règles et ce n’est pas dangereux non plus de choisir de ne pas les avoir, affirme pour sa part le médecin français Martin Winkler. On fait un lien fantasmatique entre règles et fécondité, et imposer l’une ou l’autre solution reviendrait à remplacer un dogme par un autre. C’est aux femmes de choisir ce qu’elles veulent, pas aux médecins ». Des médecins qui invoquent volontiers l’évolution des mœurs en notant que le nombre de grossesses diminuant, les femmes vivront entre 420 et 450 cycles, alors qu’elles n’en traversaient que 160 il y a un siècle. De là à penser que c’est beaucoup trop…
En filigrane du marché potentiel que représente l’éradication de ce sang menstruel, les croyances, dogmes et
autres diktats charriés depuis des siècles. Ainsi, cet été, un certain Alastair Thompson, Néo-zélandais de son état, a cru bon de dresser une analyse toute personnelle sur la différence de salaire entre hommes et femmes : « Les femmes gagnent moins car elles sont malades une fois par mois », a-t-il asséné. Naïveté crasse ou certitude méchamment ancrée ?
Quoi qu’il en soit, l’argument utilisé en 2011 fait curieusement écho à toutes les fariboles glanées au fil des siècles. « Au IVe siècle, Hippocrate prétendait que c’était la fermentation du sang qui provoquait les règles, la femme n’ayant pas ce trait viril qui permet d’éliminer les impuretés par la sueur », illustre la journaliste Natalie Angier. Le sang des femmes est particulièrement chargé d’affects, de craintes et de tabous. La femme qui a ses règles libérerait des émanations nocives. C’est pourquoi la viande s’avarie, le vin tourne à l’aigre et la pâte à pain ne lève pas. » Et quand le sang menstruel est apprécié, c’est qu’il est utile à des maux peu ragoûtants et vaguement honteux : on lui a longtemps prêté des vertus pour soigner furoncles, goitres ou vers intestinaux. De quoi renforcer la mythologie du sale et du tabou : le sang des règles a beau soigner, il n’en reste pas moins suspect. Et impur.
Eh mec, t’as tes règles ou quoi?
Et si c’était les hommes qui avaient leurs règles ? L’Américaine Gloria Steinem, journaliste et féministe de la première heure, a construit sur cette hypothèse un texte jubilatoire : « Elles deviendraient un événement masculin enviable et digne de fierté. Les hommes se vanteraient de la durée et du flot. Le Congrès créerait un Institut national de dysménorrhée pour combattre les douleurs mensuelles. Bien sûr, les hommes achèteraient toujours des marques prestigieuses, comme les tampons John Wayne. Les militaires, les politiciens de droite et les groupes religieux prendraient les règles comme preuve que seuls les hommes peuvent servir dans l’armée (« Pour faire couler le sang, il faut donner du sang »), faire de la politique (« Comment une femme pourrait-elle être agressive sans ce ferme flot de sang gouverné par la planète Mars ? ») ». Et ils se vanteraient : « Il me faut trois serviettes ! » CQFD.
* Prénom d’emprunt
Sources:
Angier Natalie, Femme ! De la biologie à la psychologie, la féminité dans tous ses états, Coll. Réponses, Robert Laffont.
Hébert Mona, La médecine des Femmes, Ed. du Roseau.
L’Express.fr-AFP : Les femmes gagnent moins car elles sont malades une fois par mois.
www.lexpress.fr/emploi-carriere/emploi/les-femmes-gagnent-moins-car-elles-sont-malades-une-fois-par-mois_1005404.html
Renteria Saira-Christine, Les règles n’ont plus la cote : une question de contraception ou de choix ?, Rev. médic. suisse, oct. 08
Steinem, G. (1983, 1995) Outrageous Acts and Everyday Rebellions, 2nd Ed., Henry Holt and Company, NY