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Ana Rodriguez
«ébénisterie», les lettres vert pistache peintes à la main dansent en un ballet désordonné sur la porte bleue. Je frappe et j’entre. L’atelier est vaste, rangé, propre. Chaque meuble attend patiemment à sa place que l’on s’occupe de lui. Ana s’affaire autour de la cafetière: «C’est la première fois qu’on frappe avant d’entrer. C’est un atelier ici! Thé ou café?». Une fois la question réglée et une table improvisée, je l’interroge:
Comment te définis-tu?
Je me définirai professionnellement, comme on le fait habituellement en Suisse. quand je me présente, c’est d’abord comme artisane. Mais quand je veux avoir la paix dans une soirée, je dis que je suis enseignante (ce qui est vrai aussi, ndlr) et personne ne me pose de questions. Par contre, lorsque je dis que je suis ébéniste, les yeux s’ouvrent et le regard s’allume. La plupart des gens ont une vision de ce métier mais ils ne se rendent pas compte que c’est 80% de travaux pénibles: poncer et respirer des produits qui puent.
Tu es aussi comédienne…
C’était un travail et c’est devenu un loisir. Je n’en vivais pas et j’avais l’impression que c’était mon deuxième métier. Aujourd’hui, avec une troupe, nous donnons des spectacles d’improvisation. Je ne suis pas payée et je le fais
par simple plaisir.
Tu as plusieurs jobs par besoin ou par envie?
Les deux. C’est une nécessité de faire entrer un salaire fixe. L’enseignement m’assure le paiement du loyer de l’atelier et des frais courants. Mais j’ai besoin de vivre et pas seulement de fonctionner. Avec le travail d’ébéniste, je ne m’ennuie jamais. quant à l’improvisation, c’est un renouvellement perpétuel.
C’est quoi le luxe pour toi?
Le temps. C’est un luxe que je m’accorde régulièrement. quitte à être en retard sur mon travail mais tant pis. Je ne peux pas m’offrir de vacances, en revanche, je prends des moments. Depuis quelques semaines, je suis modèle pour des sculptrices le jeudi matin. Ce qui suscite de nombreuses questions en moi: comment je me sens nue, comment j’accepte mon corps et le regard des autres sur mon corps?
Le regard des autres t’importe-t-il?
Bien sûr! J’ai toujours existé par le regard des autres. J’en ai besoin. «Regardez-moi! Moi! Moi! Moi!». Je me bats beaucoup avec ça. Je suis régulièrement too much et je dérape souvent dans les soirées. Lorsque j’en prends conscience, je me dis: «non pas elle! Pas encore elle!».
Que penses-tu de la représentation des corps féminins, enfermée dans des carcans idéologiques?
Je suis moelleuse donc je ne rentre pas dans cette case-là. Je n’ai jamais été la jolie, j’ai toujours été la bonne copine. et ce n’est pas à 40 ans que je vais devenir la jolie. J’ai dû chercher dans quel créneau je pouvais séduire et comment mon corps, qui est ce qu’il est, pouvait plaire.
Et comment te situes-tu vis-à-vis de l’exigence de féminité?
Les cheveux longs, ça ne me va pas. Ça me donne un air cadavérique. Je ne porte pas d’accessoires car ce n’est pas pratique avec mon métier. Tout ce qui pendouille peut s’accrocher dans les machines donc j’évite les grandes créoles. Par contre, lorsque je sors le soir, je me coiffe, je me maquille et je porte des bijoux. Ça m’arrive même de porter des robes. J’en mets parfois avec des pantalons mais la dernière fois, comme je ne suis pas mince, on m’a demandé si je m’étais déguisée en kurde.
Et le rouge à lèvre?
non! Ma lèvre supérieure est bien trop parfaite!
Que penses-tu du modèle proposé par la série Sex & The City qui est un condensé de ce à quoi doit ressembler une femme entre 30 et 40 ans: blanche, célibataire, citadine, éduquée?
J’adore. On ne les voit jamais travailler. Leur principal souci réside dans l’achat de la dernière paire de chaussure. Ça m’a appris les marques de chaussures les plus hype et grâce à ça, j’ai pu briller en société. elles font aussi tout ce qu’on n’ose pas faire ou dire. Mais les séries abordent également des questions féminines importantes, comme le cancer du sein, sans le faire sur un mode dramatique.
Ton dernier soutien-gorge, avec ou sans armature?
Avec! et j’ai même pris la culotte assortie!