souffrir pour être belle? toi-même!

Chaise: nom féminin. Vraiment?


Sur une journée, combien de temps passe-t-on sur un siège? 4, 8, voire 15 heures?! En train, en voiture, au boulot, à la pause de midi, au bistrot, devant la tv, au ciné, la position assise est souvent la principale position tenue. Or si les sièges de travail sont souvent réglables en hauteur, ce n’est pas le cas des sièges publics. Les modèles les plus adulés sont pour la plupart ceux dont les dimensions correspondent à celles d’un individu d’une stature de plus d’1m75. Soit environ 50% des hommes et moins de 5% des femmes(1). Tiens, tiens? On dirait que même nos fesses subissent la police des genres!

Quand Igmar (1,92 m) et Dolores (1,59 m) s’assoient à la table d’un restaurant, il est probable, si Dolores ne porte pas de talons hauts, qu’elle ne touche le sol qu’avec la pointe des pieds. La pression qu’elle va vite ressentir derrière la cuisse (zone vers le genou, soit le creux poplité) va sans doute l’amener à s’avancer pour n’utiliser que le bord avant de la chaise, le dossier devenant une jolie déco. La chaise pourrait dès lors être une bitte d’amarrage qu’elle ne serait pas moins confortable.

La chaise (de «chaire», le siège, le banc, la chaire de professeur et le trône) est un objet qui stimule la créativité des architectes et des designers depuis l’égypte ancienne pour les premiers modèles identifiés. Ce sont les trônes et les chaises destinés aux puissants qui ont traversé les époques jusqu’à nous : les trônes des pharaons sont abondamment illustrés par les sculptures et autres papyrus que l’on trouve dans les musées. Ces sièges nous en apprennent beaucoup sur les connaissances en ergonomie de l’époque : les pharaons étaient assis sur des sièges faits sur mesure (2).

Harmonie visuelle vs ergonomie
Les nouvelles méthodes de production à grande échelle et à coût réduit ont considérablement augmenté le nombre de variantes disponibles, leur apparence et (en principe) leur confort. Pourtant, lorsque l’on demande à un créateur de mobilier comment il choisit les dimensions de sa création, il nous parle de proportions, d’harmonie, de ligne, d’accord avec l’environnement, de beauté ou de telle œuvre d’un confrère renommé. La création en question servant à poser des fesses, on se serait attendue à ce que lesdites fesses soient aussi prises en considération. Dans le cas d’un siège pour enfant, le créateur va sans doute se renseigner sur la taille des enfants selon leur âge…

Depuis que la chaise est devenue un objet tout public et qu’elle est produite en masse, elle doit être conçue pour convenir à un maximum de monde. Les modèles de sièges dits « tout public », adulés dans le monde du design, sont soit très beaux, soit élégants, soit très pratiques (empilables, pliables), soit innovants dans leur technique ou leur matériau de production. Leur confort ou mieux, leur ergonomie ? Rares sont ceux qui s’en soucient.

On en veut pour preuve :
Michael Thonet qui crée en 1859 la chaise N°14 dont la hauteur d’assise est de 46 cm. Cette chaise est devenue, et reste encore aujourd’hui, LA chaise de bistrot. Ou, dans les années 1950, Charles & Ray (son épouse) Eames qui donnent naissance à ce qui deviendra la fameuse Eames armchair, reproduite en divers matériaux par la suite et qui nous offre une assise à 45 cm. Enfin Emeco qui nous pond en 1944 la Navy chair en alu. Spécialement conçue pour la marine US, elle est résistante et légère, mais sans doute dimensionnée pour un fantassin et non pour une soldate. Cette chaise a une hauteur d’assise de 46 cm.

Comment se fait-il que ces chaises-culte soient encensées et reproduites encore et encore, alors qu’elles sont inconfortables pour la grande majorité de la population ?

La Navy a été la star du salon du design de Milan 2010, dans sa nouvelle version en bouteilles de pet recyclées. L’écolo-trend est plus vendeur que l’ergonomie, surtout si le mobilier pose principalement problème à une population que l’on traite comme une minorité : les femmes. Et on ne parle même pas des sièges de bureau, et notamment des modèles dits «présidentiels»: la féminisation de la fonction n’ayant encore jamais fait l’unanimité, on se doute qu’intégrer dans la grammaire du design le sexe des fesses présidentiables ne sera pas une sinécure…

Les modèles de sièges design connus et reconnus correspondent à des mensurations masculines (voir encadré). Ce n’est bien entendu pas le cas des fers à repasser ; la perceuse quant à elle, est à dimension masculine. Si pour des objets stéréotypés cette adaptation selon le genre peut s’expliquer, cela devient plus difficile dans le cas des sièges « tout public » que l’on trouve dans nos restaurants, nos salles d’attente, nos salons, nos bibliothèques (même les plus récentes et prestigieuses). Les femmes sont-elles moins les bienvenues en ces lieux que les hommes ? Privilégie-t-on seulement celles qui mesurent 1,75 m et plus ? Ou celles qui portent des talons hauts ? Sacrebleu, la coupe est pleine ! Ainsi, la conspiration pour nous faire porter des talons hauts qui nous rendent moins mobiles et nous déforment le dos et les pieds serait encore plus vaste que ce qu’ont pu imaginer nos pionnières féministes.

(1) Population résidente en Grande-Bretagne (Office of Population Censuses and Surveys) de 19 à 65 ans & Population résidente en Allemagne (Norme DIN 33 402-part2) de 18 à 65 ans
(2) Conférence: Algo sobre la historia de la sedestación, Antonio Bustamante, Medellín, octubre de 2006. sur: www.antoniobustamante.com
(3) Entretien avec Benoite Groult, par Sylvie Brodziak, Magazine Femmes pour toujours – santé et bien-être de la femme et du couple, n°01, 2009.

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