dans la peau de george kaplan

Le sens du poil


Dans la peau de George Kaplan
est une série de textes articulés en épisodes utilisant le personnage inventé par Alfred Hitchcock dans La Mort aux Trousses pour digresser sur tout et n’importe quoi.
Aujourd’hui les sourcils de Liz Taylor.

Depuis quelques jours, on sentait le printemps poindre dans le moindre interstice urbain. La crasse de l’hiver était sommée de se casser au plus vite pour faire place à une énergie végétale et animale qui semblait prête à tout faire péter. Des brins d’herbe vert pâle se dressaient comme des soldats au garde-à-vous dès qu’il y avait 3 millimètres cubes de terre entre deux pavés. Des grappes de collégiens mâles agglutinés sur les terrasses de café ou disposés en tas informes sur les pelouses des parcs exprimaient bruyamment leur contentement lorsque surgissaient décolletés, minijupes et autres signes explicites d’une féminité déjà estivale qu’ils estimaient déployés à leur seule intention. On pouvait sentir la sève gonfler dans tout ce qui était doté du moindre filament d’ADN, de la limace au marronnier en passant par le teckel à poils longs ou la mésange huppée.

Toute cette agitation saisonnière ne semblait pas perturber plus que ça George Kaplan qui sirotait un café glacé confortablement installé dans un canapé du bar de l’hôtel Excelsior. La proportion de lait, la taille des glaçons et l’intensité du café semblaient avoir été calculées pour s’harmoniser idéalement avec les 25 degrés annoncés quelques heures plus tôt à la radio par le bulletin météo. En bras de chemise et cravate desserrée, Kaplan feuilletait nonchalamment un magazine qui montrait en couverture un couple posant de manière étrange. En y regardant de plus près, Kaplan reconnut au premier plan le profil d’une actrice qu’il avait croisée quelques fois lorsqu’il résidait en Californie. Derrière elle, et surgissant de la pénombre, la mâchoire carrée et la peau grêlée d’un homme qui transpirait la virilité. Ce qui frappa tout de suite Kaplan dans le visage de la femme, ce fut la perfection du sourcil qui soulignait un œil violet à faire exploser une gamme pantone et semblait dessiné à l’aérographe tant pas un seul poil n’osait dépasser de la ligne. Cette touffe stylisée, colorée et domestiquée par les meilleurs maquilleurs de Los Angeles était aussi belle qu’une virgule basculée à l’horizontale en Times New Roman. Au bas de la photo, le titre en caractères gras indiquait: La disparition du dernier monstre sacré d’Hollywood.

…Elizabeth Taylor ! Ça y est, ça lui revenait, le monstre sacré c’était donc elle ! Cette formule complètement idiote inventée par les journalistes pour désigner les membres les plus flamboyants mais aussi les plus résistants du star system (c’est-à-dire ceux qui n’avaient pas été fauchés dans la fleur de l’âge par un accident en Porsche, une absorption massive de somnifères ou un embonpoint destructeur) avaient toujours eu don de l’agacer. George Kaplan feuilleta le magazine à la recherche d’autres images du monstre pour voir si ce dernier était vraiment aussi sacré que ça. De 11 à 79 ans, Madame Taylor était effectivement toujours impressionnante et cela tenait, il en fut bientôt certain, autant à son sourcil en brosse impeccablement coiffé qu’à son iris violet ou à la liste de ses maris sans cesse brandie comme la preuve fascinante de son appétit démesuré de volupté (démesuré par rapport à quoi en fait ?).

Chez les femmes, le poil est un matériau qui a la particularité d’être honni s’il garnit le moindre centimètre carré de mollet, mais béni s’il borde abondamment les paupières. En ce qui concerne les sourcils, les modes varient et ne se ressemblent pas. Kaplan se souvenait de ceux fantomatiques des actrices des années 20. Mais aussi du monosourcil façon mauvaise herbe d’une célèbre artiste mexicaine qui donnait à celle-ci une touche Groucho Marx mais en version dramatique. Ces variations capillaires étaient tout à fait étonnantes quand on y songeait, et permettaient des interprétations qu’il n’aurait jamais soupçonnées.

Ainsi, en retournant le magazine à 180 degrés, le sourcil de Liz ressemblait étrangement à une des moustaches de Clark Gable période Autant en emporte le vent !

Ces deux bandes poilues à la courbure savamment étudiée et aux contours parfaitement dessinés signalaient en fait avec autant de subtilité que d’efficacité le potentiel en sex appeal de leur propriétaire respectif. Seule
différait la localisation de l’objet.

Assez satisfait de sa trouvaille, George Kaplan ferma le magazine et le reposa sur la table tout en s’étirant langoureusement. C’est à ce moment-là que son regard s’arrêta sur sa propre main, parfaitement manucurée certes ( rien à dire, le personnel de l’hôtel savait faire son boulot ), mais dont les phalanges étaient bizarrement hérissées de petits poils qu’il n’avait jamais remarqués. Ils étaient tendus comme ceux d’une brosse à dents prête à passer à l’action. Kaplan regarda son autre main, même topo. Une réaction aux pollens qui commençaient déjà à se multiplier en cette période de l’année ? Une allergie à la crème pour les mains Lavera à l’huile d’onagre et au beurre de shoréa qu’il venait d’acheter dans une parfumerie du quartier ? Un hirsutisme subit localisé aux membres supérieurs dû à une mauvaise hygiène de vie ?

Le printemps lui apparut soudain très menaçant..

La fameuse photo de Liz Taylor et Richard Burton sur la couverture du magazine LIFE en avril 1963 :
http://tweetrends.com/wp-content/uploads/2011/03/climb-aboard-richard-burton.jpg

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