sur le vif

Locarno 2014

Le 67e Festival de Locarno 2014, c’était du 6 au 16 août.
Pour celles et ceux qui n’ont pas eu la chance d’en être, consolez-vous: George y était et vous a rapporté une petite sélection. Bonne rediffusion!


Fort Buchanan © Benjamin Crotty

Fort Buchanan
Benjamin Crotty
(France, Tunisie, 2014, DCP, couleur, 65′)
Sélectionné dans la rétrospective «Signs of Life», Fort Buchanan est une histoire de désamour qui dépasse les genres. En créant un univers surréel, le jeune cinéaste français Benjamin Crotty nous raconte les conséquences du départ de Frank, militaire de carrière pour l’armée française, envoyé en mission en Afrique du nord pendant six mois. En quittant Roger, son mari, et Roxy, leur fille adoptive, il les laisse à leur quotidien dans la base de Fort Buchanan. Les deux ne sont pourtant pas seuls: avec eux se trouvent deux autres femmes de militaire en mission, la fille d’un lieutenant, une dame mystérieuse et le jardinier de la base avec ses deux enfants. L’attente des retrouvailles familiales est donc adoucie par les échanges relationnels qui se créent dans ce petit groupe, entre des discussions sur l’amour, l’identité, le genre, et des tentatives de séductions dans ce monde isolé et autarcique de la base.
Benjamin Crotty compose un monde visuel riche en références à l’histoire de l’art et à la peinture dans la photographie et le choix de ses personnages. Le visage et le physique du jardinier nous rappelle une sculpture classique, tandis que Roxy semble être sortie d’une peinture de Rubens. Les images bien structurées de Fort Buchanan nous conduisent dans un rêve, un rêve qui parle de solitude, mais aussi d’espoir pour le futur.


Traumland

Petra Volpe
(Suisse/Allemagne, 2013, DCP, couleur, 93′)
Les lumières pétillantes de Zurich enneigée, décorée la veille de Noël: un univers qui semble tiré d’un conte de fées. Cependant, la vie de Mia n’a rien de féerique: 18 ans et mère d’une petite fille qu’elle ne voit jamais, la jeune bulgare est une esclave, obligée à se prostituer dans la rue.
Traumland («Pays de rêve») est un film dur qui met l’accent sur le côté obscur de la société zurichoise. Un film au titre sardonique, montrant la solitude extrême de ses personnages «respectables» et la condition désespérée de Mia qui découvre qu’elle ne pourra pas rentrer en Bulgarie pour Noël pour voir sa fille, car elle a été vendue à un autre proxénète l’emmène en Italie.
La réalisatrice suisse alémanique Petra Volpe ne tombe pas dans le pathétique, en proposant au contraire un regard très critique sur la société bourgeoise zurichoise et ses hypocrisies. Un film à plusieurs voix qui s’entrecroisent et dont le point nodal est Mia: de la vieille voisine veuve qui ne manque pas une messe, mais qui ne lui montre aucune forme de pitié chrétienne lorsqu’elle lui vole son argent, au père de famille qui fréquente régulièrement des prostituées (dont la femme découvre les frasques).
Traumland n’est pas un conte de Noël mais un film qui pose un regard caustique sur l’existence de la prostitution forcée en Suisse, trop souvent passée sous silence ou rendue invisible.


Mon père, la révolution et moi © Ufuk Emiroglu

Mon père, la révolution et moi
Ufuk Emiroglu
(Suisse, 2013, DCP, couleur, 80′)
“Ufuk” signifie “espoir” en turc. C’est ainsi que son père l’a appelée, afin de célébrer l’avenir et le changement, car la réalisatrice Ufuk Emiroglu nait en Turquie pendant les tumultes de 1980 dans une famille de militants communistes. Le film-documentaire autobiographique, délicat et touchant, Mon père, la révolution et moi est une quête identitaire plongeant dans l’histoire personnelle de la réalisatrice et de sa famille.
Elle interroge plus particulièrement son père Nuri Emiroglu, qui était un des chefs d’un des partis révolutionnaires clandestins d’essor marxiste fondé en Turquie à la fin des années 1970. Avant le coup d’état militaire du 12 septembre 1980, le révolutionnaire convaincu était aussi le héros de la petite Ufuk. Cependant, après le putsch, Nuri est arrêté. Pour Ufuk et sa mère commence une période de fuite et d’exil. Après sa libération, Nuri rejoint sa famille et les trois quittent la Turquie pour la Suisse. Dans le pays d’accueil, Ufuk doit se confronter à sa nouvelle condition d’immigrée, alors que ses parents doivent s’adapter à cette “vie de confort” qui les amènera à la séparation.
En parcourant progressivement toutes les étapes de sa vie, Mon père, la révolution et moi nous montre la volonté de Ufuk Emiroglu de se réconcilier avec son père. L’histoire et le vécu personnel de la réalisatrice s’alternent harmonieusement, grâce à un mélange d’images animées et de photographies d’époque. Le tout agrémenté de riches échanges avec ses parents et son frère, et d’images réalisées lors de son dernier voyage en Turquie, qui l’a menée sur les traces de son enfance. La révolution, l’émigration, la chute, le rapprochement: le récit intime devient ainsi la réponse aux questions d’appartenance de la réalisatrice, qui retrouvera une famille auprès des ex-camarades de ses parents.


Amori e Metamorfosi © Yanira Yariv

Amori e Metamorfosi
Yanira Yariv
France/Italie, 2014, DCP, Couleur, 88′
Trois couples, six acteurs queer, pour raconter trois contes tirés des Métamorphoses d’Ovide. Un personnage-narrateur et un choeur (des éléments du théâtre grec classique) introduisent les scènes, qui prennent forme dans un décor naturel très simple et très puissant -les côtes du Latium ou les bois de la Sabaudia. C’est ainsi que l’on découvre le changement de Zeus en Diane pour séduire Callisto, elle-même changée en ours par la jalouse Hera. Ou encore: Glaucus, un homme qui devient mi-poisson et essaie de convaincre la néréide Scilla à se donner à lui. Enfin, Hermaphrodite, qui garde en elle-même à jamais la nymphe Salamachis, en rendant impossible aux yeux des autres de définir son genre.
Le texte original d’Ovide, écrit à l’époque de la Rome ancienne, parle, bien évidemment, d’amour et de métamorphoses, en reprenant des mythes issus de la tradition grecque; dans ce contexte, le monde des dieux se mélangeait souvent avec le monde des mortels. Les changements de formes étaient donc vécus en tant que pratiques assez communes. La réalisatrice iranienne Yanira Yariv reprend ces mythes éternels en les actualisant, afin de parler des métamorphoses et des amours d’hommes et de femmes transgenre.
A la fin de chaque légende, la réalisatrice nous propose un plan rapproché sur les personnages qui parlent de leur propre métamorphose. Certain-e-s se confient longuement, d’autres un peu moins, certain.e.s préfèrent se concentrer sur un aspect des relations amoureuses vécues. Par les mots de ses acteurs et actrices, Amori e Metamorfosi pose des regards intimes sur la construction de l’identité et sur les multiples variations de l’amour.


Je suis Femen © Alain Margot

Je suis Femen
Alain Margot
Suisse, 2014, DCP, Couleurs, 95′
Nous les connaissons par leurs images dans les médias: les combattantes aux seins nus qui revendiquent… dieu sait quoi, car souvent leurs motivations restent troubles dans les médias à cause du buzz lié à leur nudité. Féministes militantes ou phénomène de crypto-patriarcat? Je suis Femen est un documentaire qui explore la naissance du mouvement Femen en Ukraine qui pourtant ne veut (ou n’ose) pas répondre à cette question.
Dirigé par Alain Margot, le film-documentaire a été présenté pour la première fois au festival Vision du Réel 2014; à Locarno, il fait partie de la catégorie Panorama Suisse. Le film qui a été tourné pendant deux ans, suit les pas de Oxana Shachko, artiste et co-fondatrice du mouvement: dès les premières manifestations à la prison, dès la revendication du corps en tant qu’instrument politique à la fuite, à l’exil. L’extrême détermination de Shachko et sa volonté de changer le monde jaillissent de ce portrait complexe mais le film n’arrive malheureusement pas à éclaircir les perplexités et les contradictions autour du mouvement et de ses acolytes.
Je suis Femen est donc le portrait d’une femme, forte et courageuse, mais si vous vous attendez à une analyse objective du groupe Femen, vous vous êtes trompé-e-s de documentaire. Dommage… on aurait bien aimé un regard plus profond sur le phénomène et non pas l’énième clin d’œil face à des jolis seins.

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