visite guidée

Pipilotti Peeping Hole


Pipilotti Rist parmi les peintres flamands? C’est au Kunsthaus de Zurich, où une installation vidéo d’à peine quinze centimètres carrés bouleverse l’ordre établi et absorbe l’attention des visiteurs et visiteuses. Pour autant que leur attention soit en éveil…

La répartition des collections de l’exposition permanente du Kunsthaus suit la logique de l’agencement du bâtiment tout en respectant un découpage chronologique cohérent. Ainsi, trouver l’œuvre exposée de l’artiste Pipilotti Rist ne devrait pas poser de problème, puisqu’il s’agirait de se rendre dans la zone dédiée à l’art contemporain et d’y repérer l’œuvre en question.

Mais ce n’est pas le cas. Trompant joyeusement nos attentes, l’artiste a installé son œuvre ailleurs. Il faudra donc la chercher, avec comme seuls indices qu’elle est petite, qu’il s’agit d’une vidéo, et qu’elle se trouve au premier étage.

Après quelques hésitations dans les multiples espaces en enfilade, on finit par arriver dans la bonne salle. Il s’agit d’une petite pièce aux murs roses et au sol couvert de moquette, qui rassemble des tableaux de peintres flamands, sous le titre «Alte Meister ».

En entrant dans la pièce, on entend des cris un peu étouffés. Puis on remarque, devant l’Arche de Noé de Bruegel l’Ancien (1601), un petit trou opéré dans le revêtement du sol. Et dans ce trou, un écran vidéo sur lequel l’artiste apparaît vue d’en haut. Il faut se pencher ou s’accroupir pour voir Rist nue, avec une flamboyante chevelure jaune, qui se tord dans un bain bouillonnant de lave. Les yeux et les bras levés, elle crie une interminable litanie. Par cette œuvre, l’artiste déjoue les habitudes des visiteuses et visiteurs et remet en cause leur rapport à l’espace en les amenant à regarder le sol, de très près, plutôt que les murs. Elle transforme même les propriétés de la moquette, qui généralement absorbe les bruits, et qui ici devient sonore. Elle ouvre une pièce dans la pièce, invitant à regarder littéralement au-delà, sous la surface.

L’image vidéo s’est affranchie de son cadre pour offrir une percée dans un autre univers,

comme le souligne la moquette déchirée et non pas nettement coupée.

Le film présente des couleurs vives, saturées, qui mettent en évidence l’artifice, reniant d’emblée toute tentative de témoigner du réel. Sur les images apparaissent des zébrures, des effets de brouillage, résultats d’interférences volontaires de Rist pour que ces images correspondent à ses « images intérieures ». Privilégiant les sens, l’instinct, elle produit un langage émotionnel qui s’adresse directement à l’inconscient.

Dans la bande-son qui accompagne les images, Pipilotti crie en allemand, français, italien, et anglais: «Je suis un ver et tu es une fleur. Tu aurais fait tout mieux. Aide-moi. Excuse-moi». Cette double dimension sonore et visuelle ouvre les interprétations, nous impliquant dans le processus de création. Pipilotti Rist, qui semble s’adresser directement à qui regarde, exprime l’importance pour elle de cette relation et de l’expérience individuelle de chaque visiteuse et visiteur.

Comme ici, face à l’Arche de Noé, cette installation est parfois disposée devant un sujet religieux, dans d’autres expositions. Dans un tel contexte, les supplications sur un fond de feu ardent constituent un commentaire ironique sur la notion chrétienne d’enfer, opposée à celle du salut. Le «tu» s’adresserait ainsi à un dieu. Et le «je» serait celui de la pécheresse.

À Zurich, cette œuvre est par ailleurs instalée dans une salle dédiée aux Grands Maîtres de l’art classique, artistes tous masculins. La lave, qui compose un paysage tourmenté et rougeoyant, pourrait ainsi renvoyer tant à sa pure dimension picturale qu’aux notions de chaos originel. Les appels répétés de l’artiste seraient ainsi un appel – également ironique – aux maîtres des temps passés qui auraient « fait tout mieux ».

Pipilotti Rist s’amuse donc avec un petit trou à ouvrir de nombreuses interprétations. Et quand on regarde, on ne peut s’empêcher de sourire, réjoui par cet humour si particulier qu’elle distille partout..

Exposition permanente
Kunsthaus de Zürich
Heimplatz 1, 8001 Zurich
www.kunsthaus.ch

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