mobilités
Loin de Wisteria Lane, elles réinventent la coloc’
Si les quartiers de villas en périphérie font encore rêver, la reconquête des centres-villes est en marche. Dans le quartier Lorraine, à Berne, Graziella, Joëlle, Lilo et leurs colocataires incarnent cette tendance en réinventant la cohabitation. Exit les fenêtres à croisillons, le gazon bien coupé et la voiture de luxe devant l’entrée.
Une tête de chevreuil en plastique rose et à paillettes trône à côté de deux fauteuils Louis XIV et de vieilles photos de films des années 50. Les murs couleur rouille invitent à entrer et à prendre place. La chambre de Graziella, pédagogue de 40 ans, est à l’image de cette colocation de six femmes : bigarrée, énergique, décalée. « Une de mes motivations, explique la nouvelle venue dans l’appartement, était de me rapprocher des lieux d’activités : restaurants, petits commerces, centres culturels, places de travail. En revenant en ville, je suis aussi redevenue une personne géographiquement accessible pour mes amis, qui m’avaient reléguée en périphérie… de leur cœur ». En Suisse pourtant, c’est un peu comme au Monopoly : des petites maisons vertes et rouges pullulent partout sur le plateau. 70% des nouvelles constructions sont des villas. Ces petites taches de béton qui s’étalent toujours plus loin sur le territoire, développent des tentacules de réseaux routiers et isolent l’individu. Les villes se vident depuis les années 70, mais un contre-mouvement prend gentiment de l’ampleur (voir encadré). Cependant, pour vivre dans les centres, la saturation du marché immobilier et les loyers exorbitants imposent de réfléchir à de nouvelles formes d’habitat. La colocation, bien qu’encore peu répandue aujourd’hui, a donc de plus en plus la cote.
C’est occupé!
Dans les villes, le lien social ne disparaît plus derrière des haies de thuyas : le bâtiment qui abrite l’appartement des six colocataires est presque entièrement vitré. Un décloisonnement qui invite à la rencontre, tout comme l’ambiance villageoise du quartier, le bistrot au rez de l’immeuble et le compost à gérer en commun.
À l’échelle d’un appartement, la colocation permet elle aussi de panacher les situations sociales.
«J’ai beaucoup de plaisir à sentir que l’appartement vit et bouge indépendamment de ma présence, dit Joëlle. Les configurations sont rarement les mêmes d’un jour à l’autre. Pour nous retrouver toutes les six, nous prenons rendez-vous!». Amis et amants sont les bienvenus dans cette petite communauté, pour une nuit ou plus. «Mais, comme le souligne Lilo, quand des hommes sont dans l’appartement, la dynamique change : on se met à fermer la porte des WC à clé.» Loin du cliché de la coloc’ étudiante, ces femmes ont entre 35 et 58 ans et un bout de vie derrière elles. Comme Lilo, qui après vingt années passées en solitaire, initiait cette colocation pour se créer une sorte de cocon familial difficile à tisser avec son job très prenant de travailleuse culturelle. «La trajectoire de chacune me prouve qu’il est possible de vieillir bien sans forcément respecter la traditionnelle équation «mariage, enfants, villa». C’est rassurant.» renchérit l’une d’elles.
Partager le même frigo… et les mêmes petites manies barbantes
Curieuses de tenter cette expérience sociale, elles défendent aussi leur choix par des considérations environnementales : pas besoin de six frigos, six télés ou six salles de bains! Et aucune n’a de voiture : «Notre appartement est à dix minutes du centre-ville.» Dans le quartier, les vélos sont rois. Joëlle avoue aussi en riant que sous l’influence – au final bénéfique – de ses colocataires, elle s’est mise à nettoyer le plastique avant de le trier séparément : «Vraiment barbant au début !».
Lien social renforcé, empreinte écologique réduite et avantages économiques évidents, la colocation est l’expression quasi parfaite du développement durable. «C’est même un projet anticapitaliste!», conclut une des colocataires. Tant pis pour le Monopoly.
Sources :
Habiter la ville, P. Rérat, Neuchâtel: Editions Alphil, 2010
Statistiques suisses > thème construction et logement
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